Quand vient la nuit, après une journée de répétitions, qu'on ne croie pas que le metteur en scène — ou l'acteur au demeurant — aille dormir du sommeil du juste, se reposant de ses durs labeurs!
Bien au contraire, c'est parfois même un moment d'appréhension — car on ne sait pas de quoi elle sera faite.
Car, si l'on parvient à dormir, Morphée se pare de ses plus terrifiants atours, et au lieu de nous livrer une agréable ritournelle de hautbois, nous assène ses plus terribles chœurs de régales et de cromornes!
Et souvent, et d'autant plus à l'approche d'une première, comme aujourd'hui, à la veille de la création en lecture d'Elizabeth R., et à peine à une paire de semaines de celle de la Passion à Sainte-Clotilde, ces nuits glaciales sont hantées des cauchemars les plus effroyables interrompus souvent par un réveil dans des bains de sueur tout aussi froids. Et souvent, bien sûr, on y retrouve des éléments, des similitudes, qui se répétent d'une fois à l'autre.
Tandis donc, que ma nuit dernière est encore un souvenir épouvantable, voici que, peut-être pour le chasser, je m'en vais livrer quelques uns des plus terribles — l'on s'amusera peut-être à les analyser, cela ne me regarde plus, l'angoisse perpetuelle qu'ils livrent et laissent me suffit bien assez!
Je m'apprête à monter sur scène, mais je me rends compte, au moment même où je sors des coulisses, que je ne suis pas du tout dans le bon costume, et qu'au lieu d'être dignement dans celui qui représenterait ma fonction dans la pièce, je suis affublé d'un déguisement en mousse d'un grossier dinosaure!
Mais il est trop tard, et je bondis sur scène, frémissant à l'idée de la réaction tant de mes partenaires dont je viens de gâcher le travail, que de celle du public, qui ne pourra manquer d'être hilare.
Seulement, et l'on ne m'a pas prévenu, le plancher de la scène a été remplacé par un trampoline géant.
Voici donc que je m'élance dans les airs sans me rendre compte de ce qui se passe, que j'y croise également mes partenaires, et nous rebondissons très haut, sans sembler pouvoir nous arrêter ne serait-ce qu'un instant.
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Je dois chanter Du Liniang dans une version de concert du Pavillon aux pivoines, mais je n'ai pas vraiment travaillé ma partition, et au dernier moment on m'apprend que je sera également doublé par une chanteuse chinoise. Seulement on ne me dit pas du tout quelle partie du concert elle va chanter, ni à quel moment ce sera à moi de rentrer sur scène.
Le concert débute, c'est elle qui monte la première. J'attends longtemps, fébrilement, prêt à la remplacer au moindre signe du chef d'orchestre, ou d'un régisseur — mais personne ne sait quand nous devons échanger nos places.
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La première d'un opéra à trois personnages, sur un principe de vaudeville, mais à l'intrigue et à la musique plus humains et profonds, comme du Strindberg (oui, encore un Viking).
Je joue l'amant, en redingote blanche.
Je n'ai non seulement pas appris la musique, mais le texte même, dans une langue très étrange, m'échappe.
Je suis en coulisses, des coulisses larges et agréables, qui permettent de bien voir ce qui se passe sur scène, et donc d'appréhender encore plus son entrée — aussi à travers la qualité de la prestation de mes partenaires déjà entrés et très à l'aise — que, malgré l'absence de connaissance que j'ai de l'œuvre, je situe avec précision, tremblant de ne rien connaître, et de tout faire faillir.
Je monte sur scène, contraint de le faire, sans pouvoir plus reculer.
Charles.
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