la Compagnie

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Thursday, March 21, 2013

De la générale (mais une autre).

Ce sont les jambes encore tremblantes d'émotion que je me précipite sur mon clavier derechef, rentrant à peine de Saint-Roch où Clément Couturier et moi faisions ce soir la répétition générale de la Passion selon Saint Matthieu, avant la première à Sainte-Clotilde dimanche — d'une émotion comme j'en ai éprouvé peu dans ma carrière, et qui doit être au moins aussi forte que celle que j'ai ressentie lorsque j'ai mis les pieds pour la première fois sur la scène de l'Opéra Royal de Versailles, et qui, je le sens, va me porter longtemps encore.
C'était évidemment l'occasion pour Clément — qui accompagne le récit d'une Passion anonyme, datée de 1667 (la même année que la première publication de notre traduction) et conservée à Uppsala — d'essayer les orgues sur lesquelles il jouera mercredi 27 mars, pour la deuxième de la présentation.
Mais lesquelles? — car il y en a trois dans l'église.
Et, avant de nous enfermer dans l'église (et c'est là où ça devient rigolo), le curé de la paroisse nous avait laissé le trousseau avec les clés des trois!
D'abord un tout petit Cavallié-Coll de chœur, placé à côté de la chaire d'où je déclamais Les Confessions en novembre, dans la Chapelle de la Vierge, qui est l'endroit où il était prévu que la présentation se fasse.
Très vite, ça ne marche pas: trop d'air dans les tuyaux, pas assez de jeux, donc trop peu de variations dans les couleurs (quand Clément en a trouvé toute une palette à Sainte-Clotilde), et puis je ne l'entends pas, lorsque Clément vient me soutenir (pour permettre que les paroles de Jesus-Christ, soient dites en autre ton que les autres, pour signifier qu'elles partaient d'une plus grande douceur de cette sacrée bouche que d'aucune autre qui ait jamais été, comme le stipule mon bréviaire romain de 1654).
Alors, nous décidons d'essayer un autre orgue de chœur, mais de l'autre côté du maître-autel somptueux. 
Evidemment, nous ne nous voyons pas, mais nous entendons, ce que nous pensons être le principal pendant quelques instants. Très vite, on décide que ce serait quand même mieux si nous n'étions pas séparés.
Mais l'orgue est quand même vachement mieux.
Je passe donc devant le maître-autel.
La nef vide se présente devant moi, Clément est à ma gauche, à peine visible dans cette immense perspective impressionnante et émouvante. 
Et tout de suite, on saisit que c'est ça. Que c'est ça qu'on aurait dû faire depuis le début, comme nous l'avions évoqué quelques instants avant de commencer la répétition, que c'est là que nous devons être.
Car tout devient limpide, évident.
Nous sommes transportés au dix-septième siècle
Et, dans la mi-pénombre de l'église vide à peine éclairée, nous continuons notre filage, portés par l'ampleur du lieu, par sa force aussi, qu'il nous semble transmettre, nous portant avec lui, vers ce que j'avais envisagé au départ pour cette présentation: une évocation de ce que pouvait être au dix-septième à Paris le cœur de la Semaine sainte, avec ses bougies vascillantes dans les ténèbres d'une église tendue de noir, avec sa ferveur douloureuse et cependant profondément humaine.
Charles.

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