la Compagnie

la Compagnie

Tuesday, February 19, 2013

Christine.


Ce n'est pas tous les jours qu'un metteur en scène a la chance de pouvoir rencontrer quelqu'un (et si jeune dans sa carrière) comme celle que je surnomme affectueusement la Berma, c'est-à-dire Christine Narovitch, qui sera Elizabeth première dans la prochaine production de la Compagnie.
Quelqu'un comme Christine, naturellement, humainement — car, oui, au fil des ans, je pense pouvoir dire qu'elle est devenue une amie proche, chez qui je me délecte tous les étés du soleil bourguignon avec son mari Ivan, mais aussi et surtout, quelqu'un comme l'actrice qu'est Christine.
Une actrice de talent, cela va sans dire, aux multiples facettes dont je ne saurais me lasser, mais aussi et surtout (encore), une actrice qui compte autant dans son travail de metteur en scène qu'elle ne compte pour moi — car, avec Elizabeth R., nous sommes en plein dans notre cinquième collaboration!
Tout a commencé quand j'étais presque bébé, ou du moins quand j'étais encore au Conservatoire, en 2004, et que la Compagnie n'existait même pas encore — je prévoyais alors de tourner un petit film, Rose, superproduction cise dans un bordel fin dix-neuvième, peuplé de figures naturellement décadentes, de matelots, de travestis, à la tête duquel régnait (déjà!) la mère maquerelle, la Clardon.
Prenant mon courage et ma plume à deux mains, voici que j'ose lui écrire une petite lettre (nous nous écrirerons souvent par la suite, et presque toujours lorsque je pense à elle pour un rôle), à elle que j'avais vue sur scène quelques années auparavant, dans un Misanthrope où son rire m'avait ébloui.
Rencontre habituelle dans un café, exposition du projet très ambitieux, proposition et description du rôle (un peu gêné et tendu, craignant mal assis sur ma chaise un refus direct).
Mais c'est le rôle de ma vie! me répond-elle aussi sec.
Ouf.
Nous venions de sceller, sans le savoir, une union artistique, qui, plus elle avance, plus elle m'enchante.
Je ne puis omettre notre première séance d'essayage de costumes, et surtout de bijoux (car, la Clardon, elle devait être sacrément endiamentée) qui eut lieu quelques jours plus tard chez elle, où ébahi devant son coffre à bijoux, je la parais comme un sapin de Noël.
Et chacune des productions sur lesquelles nous travaillâmes ensemble par la suite allait sacrifier à ce rituel, de moi me pâmant devant le coffre, et de Christine ployant sous les couches d'argent, de diamants, de perles, &c. que je lui infligeais, au milieu de nos fous rires.
D'ailleurs, nos répétitions en sont toujours pleines de ces fameux fous rires, et, quand j'y pense parfois, notre relation m'est imagée par cette belle photo du plateau de Jules et Jim, où l'on voit Truffaut et Jeanne Moreau assis sur un banc, unis tous deux par un rire éclatant, sincère, dont on ne peut deviner ce qui en est à l'origine.
Puis, presque quatre ans après, ce fut Phèdre & Hippolyte, de Racine. Je ne me suis que très peu posé la question de qui il me fallait pour incarner la fille de Minos et de Pasiphaé: c'était évident, et, très vite, alors que le projet n'était qu'une ébauche dans ma tête, Christine eût droit à une nouvelle lettre.
Je tremblais de même, comme un lycéen attendant une jeune fille de Paris dans une gare de province, pas certain de son arrivée, lorsqu'elle me répondit qu'elle devait réfléchir.
Un nouveau ouf.
Encore plus intense, cette fois-ci.
Car je pensais que le projet ne se pouvait faire sans elle, et j'avais raison.
Car elle l'a porté, ce projet, accompagné, aidé, pendant les deux ans que nous y planchâmes, entre les premières discussions à son sujet, puis ses lectures, ses répétitions — ses pauses aussi, car à un moment (certes court) le projet semblait suspendu, faute de théâtre.
Dire qu'elle fut sublime, cela n'est pas nécessaire, c'est bien implicite, et le doute n'en est pas permis, naturellement.
Mais c'est presque bien peu, retrospectivement, pour moi, en regard du travail que nous fîmes ensemble. De notre entente perpetuelle dans nos studios de répétition, de notre compréhension l'un de l'autre d'abord tâtonnante, puis, à mesure que le temps passait, simple, immédiate.
Et aujourd'hui, même si nous n'avons de cesse de nous découvrir encore (et heureusement!) dans le travail, cette compréhension et cette entente se perpetuent — après Phèdre, elle fut Sarah Bernhardt (ou Salomé, c'est selon, ou plutôt les deux) dans une cérémonie que je mettais en scène pour commémorer l'enterrement d'Oscar Wilde au Père Lachaise en 2009, puis une délirante Lady Gladys dans Lord Arthur Savile's Crime. Et parfois, nous n'avons pas forcément besoin de nous parler: nous finissons un filage, respirons, nous regardons un quart de seconde en chiens de faïence, savons exactement ce que l'autre a pensé. Et nous reprenons. Et avançons.
Et on se fend la poire — là, je la menace de jouer Phèdre en déambulateur, duquel pendrait un cornet acoustique, portant une fausse barbe, et une perfusion sur roulettes la suivant sur scène, tout à coup, c'est Elizabeth qui a trois dents, ou parfois, je mets tout à exécution, et elle prend, dilligemment, et avec grand amusement, pour un rôle en se maquillant et se costumant, quarante ans, et autant de kilos — et elle se plie aussi à mes exigences les plus farfelues, comme de travailler tout un long monologue de la Phèdre de Pradon en déclamation et gestuelles baroques pures et dures, pour mieux appréhender ensuite le travail sur celle de Racine, de se rouler sur un pauvre Hippolyte pour la II, 5, aux risques et périls immenses de sa hanche…


Bien sûr, cette cohésion et ce langage communs construits à travers les années ont parfois quelques lacunes — nous ne sommes pas toujours d'accord sur ce que nous entendons par une ouverture de voyelle ou en fin de phrase, la raison pour laquelle je lui fais écouter tel long enregistrement étrange qui me fait énormément penser à un demi-vers de son texte sans que je puisse l'exprimer lui semble parfois obscure, ou alors nous discutons avec véhémence sur la sincérité de l'amour d'Essex pour Lizzie Tudor — mais il me semble que nous savons ce que nous attendons l'un de l'autre, et que nous sommes prêts à rempiler à chaque fois que l'occasion s'en présente (et que je propose à Christine de jouer une Reine bien entendu, sinon, elle refusera, c'est certain — je l'ai bien trop gâtée là-dessus pour qu'elle n'y prît pas goût).
Je ne dirai rien de plus sinon sur sa fidélité, sa présence toujours assurée à chacune de mes productions où elle ne figure pas, accompagnant de même le projet, de ses conseils si elle est venue le voir en répétitions, de ses encouragements, de sa bienveillance et de son amitié.
Merci, donc, Christine, pour ce que mon cœur tente d'exprimer, mais mon clavier ne peut point.
Charles.

Sunday, February 3, 2013

The Queen dairies.


Le rôle d'Elizabeth première ne s'aborde pas comme celui de Phèdre, et le travail de mémorisation en est nettement plus difficile, d'autant que Charles (qui a fait l'excellente traduction de l'anglais élizabethain vers le français), cherche à retrouver des sonorités originales, d'où un travail très particulier sur la prononciation, le rythme, sur l'ouverture des voyelles, sur leur longueur.
Mais quel personnage attachant que cette Reine qui a eu une enfance on ne peut plus malheureuse, assortie d'une éducation exceptionnelle pour une fille à cette époque! Cela donne une femme d'une grande énergie, remarquablement instruite et créative, avec une conscience aïgue de son origine, et de ses responsabilités.
Les répétitions, pour préparer la lecture qui sera donnée au Lucernaire dans quelques semaines, sont un régal fatiguant mais digeste, au cours desquelles Elizabeth point son nez par moment, et il me semble que je commence tout doucement à faire sa connaissance, à percevoir quelques unes de ses différentes facettes qui se retrouvent parfois d'un texte à l'autre, à l'apprivoiser, et à l'aimer.




Christine Narovitch, notre Lizzie Tudor, of course.