la Compagnie

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Wednesday, June 15, 2016

Partir.


Dans ce qui m'a donné envie de faire du théâtre, il y a en belle place le film magique d'Ariane Mnouchkine, Molière (1978).

J'avais 8 ans la toute première fois que je l'ai vu, je vivais en Extrême-Orient et mon expérience du théâtre se résumait aux spectacles de marionnettes traditionnelles dans la rue qui déjà me fascinaient, sans pourtant comprendre ce qu'elles disaient, ni même savoir ce dont il s'agissait précisément.
Au bout des deux premières heures du film et malgré l'heure tardive, j'insiste tant que mes parents consentent à lancer la deuxième époque.

A la fin des quatre heures, c'était décidé et je m'exclamai: je ferai du théâtre plus tard!

Trois moments m'avaient surtout marqué, frappé, donné envie.



Tout d'abord lorsqu'après le Carnaval sanglant, au milieu de masques brisés, certains fronts encore tachés de carmin, tous rendus calmes et sereins, le théâtre apaisant les douleurs, Molière, happé, hypnotisé, découvre la tragédie, et Madeleine Béjart qui déclame, sur une petite scène, éclairée à la bougie, une larme peinte sur son visage fardé. Les vers sont lents, chantants, étirés. Je n'avais jamais rien vu de plus beau et longtemps ensuite je m'amusais à parler de la même manière. Je croyais que ce n'était que comme ça qu'on faisait du théâtre — dix ans avant de rencontrer le théâtre baroque.

Deux autres séquences m'avaient autant saisi: à la fin de la première partie, l'Illustre Théâtre rejoint enfin la troupe de Dufrêne, qui joue au milieu de nulle part, en rase campagne, devant quelques locaux enjoués. Le vent se lève, les tréteaux s'envolent avec les comédiens qui tentent de jouer encore. Les tréteaux deviennent quasi-vivants et les rideaux sont autant d'ailes qui les portent tandis que les comédiens de Molière courent derrière, riants. Il n'y a pas de danger: puisqu'il y a du théâtre!



Et enfin, c'est le départ de la troupe, leurs trajets en France. Un départ heureux, plein d'espoirs partagés, de vent dans les cheveux, de pluies et de carrioles embourbées aussi, de joies, dans une énergie commune nourrie de la force que donne le théâtre.

Un petit paquet d'années plus tard, la même émotion m'étreint. Quand je revois le film, bien sûr, mais surtout quand, à son tour, notre Compagnie s'élance et part sur les routes, loin de nos bases.

Si la carriole n'est plus tirée maintenant par des chevaux, je nous reconnais pourtant quand nous nous retrouvons tous au lever du soleil pour charger le camion de tout ce qui fait le spectacle que nous emportons, nous envolant vers d'autres provinces, des publics inconnus, parfois — sinon souvent et en tous cas toujours délibérément — pour des endroits sans théâtre, pour qu'il y ait lieu. Et après plusieurs heures de route, épuisés, nous découvrons, bienheureux ce qui sera notre scène et notre énergie revient: parfois des tréteaux, ou un vrai théâtre, parfois une cour de château qui devient décor. A l'aventure en somme, car rien n'est jamais sûr.

Parfois encore, nous nous embourbons, nous avons froid l'hiver dans des lieux antiques plein d'humidité et où la chaleur ne peut pas rester. Parfois nos hôtes nous reçoivent aussi bien que le Prince de Conti devenu dévot. Mais nous sommes toujours unis et l'émotion m'étreint toujours quand je vois la ferveur que nous avons tous, toujours, car c'est toujours aussi souriants et pleins d'espoir que nous partageons ces moments, parce que nous sommes ensembles et avec nos spectateurs — car c'est ça le théâtre, et le théâtre vivant!


C'est d'ailleurs un peu pour ça que la Compagnie est établie en Dordogne-Périgord et de là que vient l'idée de l'Oghmac, notre festival qui va bientôt voir sa deuxième édition: faire du théâtre là où il n'a d'habitude pas lieu, pour les populations locales, un théâtre populaire qui va à la rencontre des gens, pour leur proposer, l'espace d'une heure ou deux, de quoi s'échapper, de quoi rêver, sous les étoiles, à la lueur des bougies. Raconter une histoire, partager la force de la langue, la beauté d'un texte.

Charles.