la Compagnie

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Wednesday, November 21, 2012

De la lettre et de l'esprit.

Tandis que je prépare ma lecture de la Nativité selon Saint Luc, qui sera précédée par des extraits de la préface de son traducteur Louis-Isaac Lemaître de Sacy, et que je fais des aller-retours entre ma Bible de Mons et la petite bibliothèque de Port-Royal de la Compagnie, pour retrouver les citations dont Sacy augmente pleinement son texte, et les replacer dans leur contexte, que je confronte le texte aux peintures de Philippe de Champagne qui en sont tirées, que je les repasse elles-mêmes au crible des Hiéroglyphes de Valérian, que, je m'agite, en somme, dans un tas de directions qui ne seront pas visibles lors de la présentation mais qui nourriront forcément ma lecture, me revient en mémoire une question que m'avait posée un élève du lycée Guez de Balzac à Angoulême, dont nous avions rencontré la classe au lendemain d'une représentation de Phèdre et Hippolyte de Racine que nous donnions alors dans sa ville, il y a quelques années.
La question, tandis que j'évoquais le travail préparatoire que j'avais fait sur le texte, avec les acteurs, que je repassais ces détails invisibles, les codes baroques, les recherches, qui avaient construit la mise en scène et le spectacle, avait été posée avec une assurance certaine, un ton tranchant qui m'avaient fort surpris et que je me rappelle encore: Mais, avec tout ce que vous nous dites, votre spectacle n'est-il pas élitiste, puisqu'il est rempli de ces choses que tout le monde ne peut pas percevoir, ce qui, sans les connaître, empêche donc de comprendre vraiment le spectacle?
Je lui répondis ce que je pense toujours être propre à répondre à cette question, et aussi aux craintes que l'on peut avoir, de ne pas comprendre le français du dix-septième, lorsqu'il est dit en déclamation baroque, comme dans le cycle des Lectures saintes.
Bien sûr, de savoir que la citation de Saint Augustin que fait Sacy dans sa préface, On ne pêche qu’en deux manières: ou en souhaittant ce qu’il a méprisé, ou en fuyant ce qu’il a bien voulu souffrir est extraite De vera Religione, que le chiffre deux se représente par l'index et le majeur tendus (autant qu'un doigt baroque le peut être, naturally), les autres repliés dans la paume tandis que le pouce reste levé, que le geste que j'utilise pour l'expression (dans les Confessions de Saint Augustin) élève à soi est tiré de la Résurrection du Lazare par Champagne, boh, ça aide. Ça aide à voir simplement le travail qui a été effectué en amont, mais c'est tout.
C'est une cerise sur un gâteau déjà bien bon, une armée d'angelots autour de Gabriel dans une Annonciation, une auréole autour de la tête du Christ en croix.
C'est bien agréable, mais ce n'est pas essentiel, ni surtout l'essentiel.
Car, à force de chercher le sens à tout prix, on finit par le perdre.

Deux des plus grands chocs théâtraux que j'ai eus (le troisième était lors d'une représentation de Comme un chant de David, un spectacle sur les Psaumes mis en scène par Claude Régy), étaient dans une langue que je ne comprenais pas: j'avais huit ans lorsque j'ai vu pour la première fois une représentation d'Opéra chinois (même si plus vague, je préfère ce terme à celui d'opéra de Pékin, puisque Pékin est l'endroit où on le pratique sans doute le moins bien aujourd'hui, le pays ayant dû réinventer, sans penser à son fond, cette forme qu'ils avaient perdue avec la Révolution (pas vraiment) culturelle, contrairement à Taïwan qui ne l'a jamais abandonnée); j'ignorais tout du théâtre en général, et ce fut un bouleversement — c'était sans pouvoir alors rien déchiffrer des codes, du texte, des symboles glissés dans les costumes, bien avant que de pouvoir crier des Hao! d'approbation avec le reste du public, comme j'ai pu le faire depuis, ayant creusé la chose, pourtant tout me semblait clair.
De même lorsque je vis, bien plus tard, du Kabuki japonais pour la première fois — une forme théâtrale que l'on peut énormément rapprocher du théâtre baroque. En sortant, j'étais hébété, confondu, muet pendant plusieurs heures, le spectacle se distillant encore en moi, et lorsque je repense à cette représentation, j'en frémis toujours, d'émotion, de trouble. Et pourtant, j'ignorais également tout du Kabuki, et n'avais strictement aucun moyen d'appréhender quoi que ce soit du sens du texte qui se disait sur scène. Ayant lu ensuite un résumé de la pièce, je me suis rendu compte que j'avais au demeurant tout compris.

Il en va, pour moi, de même du théâtre baroque. S'intéresser uniquement au sens, aux détails, à la compréhension des codes, et de tout ce qui façonne un spectacle, en général, c'est se limiter.
Moins se permettre d'être touché, ému, en arrivant obsédé par le sens premier, et en s'y limitant, en s'y bornant et en s'y arrêtant, quand je sais que le théâtre baroque peut produire cet effet, tout aussi étrangers que puissent en sembler la langue, les règles. Et c'est ce qui fait dire parfois: C'est insupportable le théâtre baroque, on ne comprend rien!, quand justement, ceux qui n'essaient pas de faire l'effort de comprendre et se laissent porter simplement par la forme qui, plus que tout autre forme artistique à mon sens, révèle puissament le fond, comprennent tout sans que cela leur semble pénible, ni même difficile.
Bien sûr, ma diatribe aurait plus d'effet si j'avançais des preuves pour la justifier. Mais si je repassais ce que ma propre expérience de spectateur m'a fait ressentir, lorsque je suis allé entendre des lectures d'Eugène Green par exemple, je ne parviendrais qu'à raisonner et donc rendre raisonable ce qui n'a pas lieu de l'être, et si je citais ces occasions de retours très-sensibles que l'on m'a faits tandis que je sortais de scène, ce serait peut-etre sembler trop flagorneur et vaniteux, et peut-être perdrai-je l'émotion que j'ai toujours lorsque je me les repasse en mémoire, en les partageant trop.
Charles.

Friday, November 16, 2012

De l'oxymore et de la déclamation baroques.


Nos Lectures saintes sont présentées par un petit texte qui tente de définir la déclamation baroque, et que nous donnons ici.

Le mot baroque vient du portugais barocco, désignant une perle rare par sa forme irrégulière — un objet de valeur, donc, rendu plus valeureux encore par son irrégularité singulière. Ce qui est très révélateur de toute la pensée baroque, qui repose avant tout dans l’opposition et l’équilibre de deux contraires. C’est un oxymore permanent: c’est rendre visible ce qui est caché.

C’est un oxymore que l’on peut d’ailleurs facilement reconnaître dans la peinture de l’époque, où tout est construit de façon dissymétrique, jusque dans la position même des corps: car la symétrie, c’estla rencontre de deux forces égales et équilibrées, c’est donc la mort. Il n’y a qu’à voir: la seule figuration d’un corps symétrique dans l’art de l’époque, c’est celle des cadavres, mais aussi celle du corps du Christ mort!
Si l’on peut voir dans la peinture cet oxymore, c’est bien dans la Parole baroque qu’il se révèle pleinement. C'est une parole régie par la rhétorique, héritée des Grecs et des Romains, et c’est elle qui structure le discours. Rappelons que la rhétorique, telle qu’elle a été codifiée par les sophistes, se divise en cinq étapes indissociables: inventio, dispositio, elocutio, memoria et enfin, pronuntiatio (notons donc que la Parole orale en est une des étapes essentielles).
Et qu’est-ce que la rhétorique, sinon partir d’un raisonnement et d’une construction purement intellectuels, à travers ses cinq étapes obligatoires, pour obtenir un discours, une Parole, qui viendra toucher le cœur, et émouvoir l’auditeur pourle porter avec la parole — car l’émotion n’est jamais oubliée, quoi qu’on pense de l’époque, et c'est elle qui dicte la construction artistique.
La Parole créé les choses et les rend visibles, de même que le Monde est issu du Dieu-Verbe.
Ainsi, cette Parole baroque est sacralisée. De telle sorte qu’elle ne peut donc pas être naturelle au sens où nous l’entendons aujourd’hui: elle est volontairement artificielle et codifiée, parce que soumise à des règles intellectuelles, pour parvenir à une émotion —comme c'est encore le cas du Kabuki au Japon.
Et c’est de ce paradoxe (à savoir ce mouvement de la rhétorique à l’émotion), que naît la déclamation baroque: la Parole est rendue visible en traversant le corps de celui qui la porte et qui la traduit en la déclamant; ainsi ce déclamateur se doit donc d’adopter une position frontale, afin de ne pas détourner cette Parole de l’auditeur.
Deux personnages échangeant dans une tragédie de Racine sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, par exemple, étaient donc tous deux face au public, se parlant, sans que leurs regards ne se croisent.
Aujourd’hui, nous crierions à un artifice grossier, à des acteurs qui ne vivent pas ce qu’ils disent; mais au contraire: c’était l’assistance qui vivait, à travers la Parole, les émotions qui naissaient de celle-ci.
Le déclamateur n’avait pas vocation à représenter mais à présenter.

Si l’on veut se figurer complètement la déclamation baroque, rappelons nous que la pronuntiatio (l’étape finale de la rhétorique), était aussi appelée par Quintilien actio.
Et ce terme d’actio illustre finalement l'un des éléments fondamentaux de la déclamation baroque à savoir, la gestuelle qui vient mettre en relief ces mots, et les amplifier. Le texte déclamé est donc entièrement gestualisé.

Notre travail, à la Compagnie Oghma, a toujours été porté sur cette Parole créatrice, d’où toute l’action théâtrale et émotive se doit de naître et découler, à travers l’acteur la traduisant par sa voix, par son corps. C’est donc en toute logique que nous nous laissons porter aujourd’hui par ces textes véritablement sacrés — et ce cycle de Lectures saintes est le parangon de notre démarche depuis nos débuts, nous confrontant justement au Verbe à proprement parler.
Zelda Bourquin, assistante des productions de la Compagnie.

Monday, November 5, 2012

La Compagnie vue par…

La Compagnie et la déclamation baroque vues par la Suède et ses Vikings,
un de nos poster-boys de la saison, August Håkansson,
et Freya Hall, notre vox populi suédoise.


Un soir dans nos laboratoires naturellement éclairés à la bougie,
après une répétition des Confessions de Saint Augustin.