la Compagnie

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Sunday, May 29, 2011

De l'heur de ne pas toujours respecter un storyboard.


C'est toujours au moment où s'achève un projet qu'on comprend enfin véritablement ce qu'on a voulu faire en le lançant.
Au théâtre, irrémédiablement, c'est après la dernière, et même si, au cours des représentations on a souvent procédé, par petites touches occasionnelles, à quelques modifications, c'est trop tard! — et c'est un peu pour ça que l'on se lance dans un autre projet derrière!
Au cinéma, à mesure que le tournage s'éloigne et qu'on prend du recul, les choses se révèlent à leur tour progressivement. En revoyant les chutes, en choisissant les prises &c. Et c'est justement à ce moment-là que le montage intervient.
Donc, sur le billard, et si le travail a été bien fait au moment des prises de vues, des éléments prennent une dimension qu'on n'aurait pu leur soupçonner dans le feu de l'action.
Il y a au milieu de Lord Arthur Savile's Crime, une série de séquences où notre héros est légèrement bouleversé par une nouvelle qu'il vient d'apprendre. Lors de leur photographie, j'avais filmé des plans qui n'étaient pas prévus par le storyboard minutieux, des plans plus serrés, des gros plans (avec la machine, naturellement)…
Hé bien, à mesure que nous montons, je me rends compte que cette série de séquences doit faire véritablement basculer le film jusqu'alors réaliste comme le Stroheim le plus aigu, dans le plus pur expressionnisme, subjectivant la réalité le temps de ces quelques séquences-ci. Et naturellement, les gros plans filmés au feeling, s'avèrent essentiels, et Quentin et moi avons tendance à les utiliser prioritairement — comme dans la première de la série, qui devait être un long travelling arrière en plan américain d'Arthur, où j'avais pensé insérer un gros plan à un court moment, qui devient tout à fait l'inverse, commençant sur le gros plan et se permettant un court passage de plan plus large!

Charles.

Tuesday, May 24, 2011

"London, Capital of the British Empire…

…full of its complex organs and mysterious ways."
Le premier carton de Lord Arthur Savile's Crime, que suit une vue sur les toits de Londres, la nuit.
Un plan impossible à filmer en décors naturels: la ville de Londres n'a plus rien à voir aujourd'hui avec celle que nous introduisons ainsi.
Nos moyens nous permettraient bien entendu de créer ce plan — le seul qu'il nous manque encore pour avoir l'intégralité du film en boîte — numériquement; ce serait chose aisée.
Mais ce serait contre toute la démarche que nous avons faite jusqu'à présent de tourner un film muet, avec les outils du muet (machine à gros plans, musique pendant les prises de vues, et metteur en scène qui beugle derrière la caméra inclus).
Si j'étais Erich von Stroheim, fort du soutien sans faille de l'Universal, je n'aurais pas hésité à créer le décor en taille réelle sur un de nos plateaux, à le remplir de hordes de figurants — quand bien même on ne les aurait ne serait-ce qu'aperçus—, et à exploser pour la quinzième fois le budget du film.
Mais hélas, les productions de films muets ne sont plus ce qu'elles étaient!
La dernière solution — attention, pas un pis aller, car je n'ai voulu ce plan que pour la mettre en œuvre, dès l'écriture du scénario —, celle de Fritz Lang dans Metropolis (la barre est donc haut), et dans tant d'autres films marquants ou moins: la maquette!
Et tandis que les kilomètres des chutes que nous n'utiliserons pas dans le film recouvrent déjà le sol de la salle de montage, me voilà, grand architecte d'une cité imaginaire et rêvée, bricolant, fignolant de hauts bâtiments ochres aux façades escarpées et menaçantes, découvrant une utilité au théorème de Pythagore, et c'est les doigts couverts d'une colle qui ne sèche qu'à peine que j'écris ces quelques lignes, alors que s'assemblent progressivement les différents éléments du décor. Les yeux me brûlent, à force de passer des journées à mesurer deux millimètres par-ci, à plier des trucs grands comme une bille de stylo par-là, de tout construire avec une précision terrifiante, mais néanmoins nécessaire.
Evidemment, rien ne ressemble encore à gran'chose, les bâtiments sont béants, attendant leurs toitures qui se fixent à côté, quelques fenêtres s'ouvrent dans le vide, dépourvues de leurs vitres, et, quand je m'aventure malgré tout à regarder ce bric et ce broc dans l'objectif impitoyable de la caméra, l'effet est un désastre.
On verra qu'il s'agit d'une maquette, c'est certain, et c'est un objectif que je vise.
Mais je sais qu'un jour, lorsque tout cet amas incertain ce sera un morceau de ville, illuminé de ses milles loupiotes derrière des rideaux tirés, noyé dans un brouillard épais, lui-même enveloppé dans une fumée grasse recrachée par les mille cheminées qui s'ouvriront devant nos yeux, cette ville de carton-pâte prendra vie, et, bénin créateur, je pourrai regarder tout cela exister sans moi.

Charles.