la Compagnie

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Sunday, January 20, 2013

De Leipzig à Uppsala.

Parmi les choses auxquelles je ne puis que difficilement résister, deux se trouvent en tête de liste: les Passions (au sens Christique du terme), et les Vikings. 
Que dire de ma fébrilité, lorsque, par hasard, j'appris l'existence d'un oratorio de la Passion selon Saint Matthieu, œuvre anonyme, dont le manuscrit est conservé à Uppsala?
Un doublé!
Après d'âpres recherches, je parvins à me procurer, d'abord pour ma curiosité fort aiguisée, ce qui ne pouvait annoncer qu'une merveille — et la découverte fut de taille. 
Car évidemment, c'est une merveille, comment en douter? — une merveille musicale et dramaturgique, avec un continuo simple accompagnant les chanteurs. 
Mais ce n'est pas tout, car la rencontre avec cette partition quasi-inconnue est venue bouleverser tous mes plans pour la dernière des Lectures saintes, de la saison, celle du récit de la passion du Christ par Saint Matthieu.
J'avais, depuis que son idée a germé dans ma tête, envisagé de collaborer pour cette lecture avec un organiste, de la ponctuer d'airs, et surtout d'accompagner les citations du Christ par des accords à l'orgue, afin de leur donner plus de force et une dimension plus divine, et, évidemment, de prendre pour cela la partition que Johann Sebastian Bach a tirée du même Evangile (où il fait justement accompagner les récitatifs du Christ non seulement par le continuo habituel mais aussi par les cordes frottées qui viennent amplifier la partie), en y choisissant quelques airs, et en reprenant les récitatifs pour les transposer au texte français. 
Bach, parce qu'évidemment sa Matthaüs-Paßion est ce que je considère comme la plus grande œuvre baroque de tous les temps, parce que sa partition est parfaite, et puis aussi que je la connais bien, l'ayant bien travaillée lorsque nous montions Phèdre & Hippolyte.
Mais, face à cette nouvelle partition, mon cœur balançait. Parce que je l'ai tout de suite considérée carrément égale à celle de Bach, mais que, malgré tout, il y a moins d'airs, donc moins de choix, pour les intermèdes entre les différentes étapes du récit.
Mais un argument fut décisif: celui des récitatifs, justement: plus chantés chez Bach, donc dont la transposition en déclamation baroque française aurait peut-être été plus délicate, moins évidente, ils sont dans ce manuscrit viking (dont j'oublie de préciser qu'il est daté de 1667, soit l'année même de la parution de la traduction de Sacy que j'utilise pour la lecture), déclamés avant d'être chantés (comme dans un opéra de Lully par exemple), et tant la ligne vocale qu'instrumentale suivent le texte pour le soutenir et l'amplifier: malgré la différence de langue, si minime somme toute, les récitatifs tels quels correspondent exactement à ce que je cherche à faire, et donc collent, faut-il le dire, mieux encore que ceux de Bach, à l'exercice auquel leur traduction est destinée.
Donc ni une ni deux, et bien que j'eûs déjà presque terminé mes transposition Bachiques, j'abandonne la BWV 244, et m'envole plus au Nord encore, et, tranchant irrévocablement, je décide que ce sera cette fameuse Passion d'Uppsala qui portera le texte de Saint Matthieu pendant mes lectures en mars prochain.
Et à mesure que j'avance dans mes transpositions, et malgré le côté parfois un peu abscons, répétitif, ou épuisant de la chose, œuvrant comme un sombre copiste, et ayant un peu l'impression d'être Monsieur Düben lui-même (celui à qui l'on doit la transmission de cette partition, donc), je ne cesse de me passionner davantage pour cet oratorio, m'y plonge avec une émotion et un émerveillement sans cesse renouvelés (je pense notamment au Eli, Eli, Lama sabbactani, ici, en montée par demi-tons dans un grand cri déchirant, qui me fend le cœur à chaque fois que je l'entonne en répétition), et semble confondu à chaque instant par sa pureté, et par force.
Charles.

Sunday, January 13, 2013

L'ombre de Dowland.

Hier, tandis que je m'apprêtais à travailler sur mon luth Fortune de John Dowland, pour préparer ma répétition de cet après-midi — car un des poëmes de la reine Elizabeth semble avoir été écrit pour se pouvoir chanter sur la fameuse balade, et, dans notre spectacle, Christine, notre Gloriana, récitera donc le texte sur la musique, je me mettais en doigts et Willie (mon luth) en voix, en attaquant par un prélude du même Dowland. 
Or la pièce achevée, je me dis tout à coup: Tiens! Ce serait chouette d'essayer de combiner ce prélude avec la prière d'Elizabeth qui clôt le spectacle, sans conteste le plus beau des textes qu'elle ait écrit en français.
Puis, je m'attèle à autre chose, oublie, y repense vaguement en me disant, Boh, non, quand même, ça ferait deux tubes luthistiques dans le même spectacle, le procédé serait répété, ce ne serait pas trop intéressant.
Mais, alors que la répétition commence, qu'on évoque ce qui est au programme, et notament le premier essai du poëme dit sur Fortune avec la partie de luth, sans m'en rendre compte, j'évoque mon idée, et nous décidons de l'essayer, tout aussi peu convaincu que je le suis.
Je fixe donc une phrase musicale, la dernière, sur laquelle commencera à parler Christine, je joue, nous nous retrouvons, Christine dit son texte. Ce n'est en effet pas intéressant, mais commence à poindre quelque chose, qui augmente à la fois le texte, la voix de Christine, et la partition.
Alors je décide malgré tout d'essayer à nouveau, différemment: je laisse Christine libre de commencer où bon lui semble pendant le morceau, et nous convenons qu'en nous écoutant, nous nous permettrons d'avoir des moments où je laisserai Christine parler seule, puis de reprendre, et vice-versa.
Un peu ce que nous faisions dans notre spectacle sur les sonnets de Shake-speare, To.The.Onlie.Begetter., sauf que cette fois-ci, c'était moi qui était sur mon instrument, et qui devais suivre la voix parlée.
Et là, tout de suite, il se passe quelque chose. L'écoute est immédiate, et ce que j'espérais vaguement arrive. Nous finissons en même temps, et il plane dans la pièce ensuite quelque chose d'indéfinissable, de beau, qui est exactement ce dont j'aurais voulu, sans y pouvoir penser aussi clairement, pour la fin du spectacle. 
Quelque chose de profond, de suspendu.
On refait, tout heureux, et là, ça marche encore, alors que rien n'est fixé, et que nous ne voulons justement rien fixer. 
Voilà. L'idée est adoptée, et la répétition se poursuit, bercée par ce moment un peu sublime et surtout confondant, dans cette même belle écoute.
Charles.