la Compagnie

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Wednesday, December 26, 2012

De la schizophrénie?

Rome ne s'est pas faite en un jour, évidemment.
Naturellement, un spectacle non plus.
Il n'est pas inhabituel donc, pour un comédien ou un metteur en scène, de jongler en permanence entre plusieurs projets, forçant à une sorte de schizophrénie bien agencée. Par exemple, lorsque nous tournions Les Anges distraits, je répétais en même temps Phèdre & Hippolyte, je traduisais Shake-speare tout en répétant Iphigénie en Tauride au Canada, je potassais les Confessions de Saint Augustin étant plongé dans les écrits d'Elizabeth première.
Une sorte d'oxymore (encore: je dois le faire exprès!), auquel je suis habitué, évidemment, obligeant à naviguer du profane au sacré, entre les langues, et les formes aussi — du cinéma au théâtre, en passant par la musique —, entre la prose et les vers et ainsi de suite.
Mais là où cela devient véritablement amusant, et un peu perplexant, c'est quand, comme maintenant, les projets à venir sont destinés à s'inscrire véritablement dans un calendrier lié à des évènements, comme la dernière partie du cycle des Lectures saintes: le récit de la Passion selon Saint Matthieu, que je donnerai en mars prochain.
Le travail que j'effectue sur chacune de ces lectures est naturellement conséquent (sans vouloir me flatter), et je commence à m'y préparer longtemps à l'avance, pour avoir le plus tôt possible les mots en bouche, et les raffiner, comprendre mieux leurs liaisons, la structure du texte, pour mieux les rendre ensuite — et celui sur la Passion le sera plus encore, car la présentation sera, telle que je me l'imagine et la conçois, entre oratorio, leçon de ténèbres et chemin de croix, mêlant un travail sur la lumière, sur le texte et avec de l'orgue pour parachever le tout.
Or quoi de plus contrastant avec les fêtes de Noël, qui viennent de passer, que le récit de la mort de Celui qui vient de naître?
Car, à peine la bombance du 25 décembre englouttie, les yeux alentours encore baignés de liesse émerveillée, je me plongeais dans mon office de la Semaine Sainte de 1654, lisant avec ferveur les leçons de ténèbres, lançait les différentes passions dont dispose ma discothèque (et surtout la Saint Matthieu de Bach, of coures, qui sera intégrée dans la présentation), relisait le récit de la Passion dans les quatre Evangiles, baignant en somme dans la fin d'une histoire que l'on venait à peine de commencer — dans les larmes, la douleur, le sang et l'obscurité, quand tout n'était que lumière et joie autour de moi!
Une sensation en somme étrange et paradoxale, mais bon, quand on travaille dans le baroque, on s'y fait!
Charles.

Sunday, December 9, 2012

De Musica.





Tandis que je travaille sur l'Evangile de Saint Luc, et sur la préface à sa traduction par Lemaître de Sacy (naturellement pour la deuxième du cycle des Lectures saintes, qui sera donnée la semaine prochaine déjà), je couvre mes papiers de signes cabalistiques, rendant parfois les mots à peine déchiffrables sous mes coups de crayon, je note la lenteur d'une phrase, l'élan d'une autre, le silence avant une troisième, je teinte mes mots de chaleur, ou au contraire, afin de leur donner plus de poids évocateur, je détermine les hauteurs vocales de l'ensemble — je construis finalement (en toute humilité of course) une partition à partir d'un texte, une partition baroque, comme pouvait le faire Lully lorsqu'il composait ses opéras, si l'on en croit la légende, allant voir la Champmeslé, lui donnant le livret tout frais, lui demandant de le déclamer, et repartant plusieurs heures après, avec son opéra fini, ayant noté musicalement ce qu'il avait entendu dans l'exercie. 
En même temps, je peaufine aussi la traduction des textes qui composent notre spectacle en devenir sur Elizabeth première d'Angleterre (bien que nous en ayions repoussé la création d'une saison, pour prendre plus notre temps pour le pomponner, il nous faut tout de même le travailler déjà, ne serait-ce que pour préparer la première présentation de ses textes, au cours d'une lecture publique qui sera donnée au Lucernaire en février), revoyant non seulement la clarté de mes transpositions des textes en français, m'assurant qu'ils seront compréhensibles, mais aussi le rythme que je leur ai donné, chargeant les textes de précisions sur la valeur brève ou longue de certaines voyelles, des liaisons à effectuer ou non, des e à prononcer ou à élider — afin qu'ils se rapprochent le plus de leur rythme original en anglais. 
Et je me rappelle tout à coup le travail sur Phèdre & Hippolyte, lancé d'abord par des lectures à la table, pendant au moins trois mois avant d'attaquer le travail sur le plateau, où je reprenais les acteurs sur la moindre voyelle, où, partant de la déclamation baroque, l'on déterminait déjà la rapidité qui devrait être donnée à un vers, où à l'inverse, le calme plat à un autre, où chaque césure était débattue pendant des heures, en fonction du texte, de son effet, de la ponctuation (naturellement, nous travaillions sur l'édition originale de 1677, avec la ponctuation de Racine, et non celle frelatée par les dix-huitième siècle et suivants)…


Il n'y a pas très longtemps, j'évoquais au cours d'une rencontre très enrichissante avec une journaliste, comment je la travaillais la déclamation baroque, et surtout que c'était pour moi: parvenir, à partir d'un texte, à un rythme, une accentuation, à des sons, finalement, qui viendront toucher l'auditeur, sans qu'il ait forcément besoin de faire l'effort intellectuel de comprendre le sens de tous les mots qui viennent frapper son oreille — à condition évidemment que ce travail du déclamateur ne soit fait qu'en partant du texte, et que cette Parole soit la seule chose qui motive quoi que ce soit, et qui existe au moment de la déclamation.
Après un court suspens, né de la surprise de la conclusion logique à cette déclaration, elle me répond: Ce que vous décrivez, ce que vous faites, et ce à quoi vous tendez, c'est la Musique, finalement!

Le pire, c'est que je n'y avais jamais pensé!



Charles.

Monday, December 3, 2012

De Augustino secunda vox populi.

Après l'assistance présente à Sainte-Clotilde en octobre, quelques uns de nos auditeurs du 23 novembre à Saint-Roch nous parlent de la première du cycle des Lectures Saintes, celle des Confessions de Saint Augustin.

Des pans de nuages s'enroulant autour des rayons dissymétriques de la lumière divine, une voûte éclairée par un envol d'anges, une Nativité sculptée aux personnages contournés et chargés d'émotion… On est dans l'esthétique baroque, dans le chœur de l'église Saint-Roch. Mais un éclairage minimal à la bougie, un lecteur sobre et grave, vêtu de noir… 
On est dans l'univers austère de Port-Royal-des-Champs, à l'époque de Mazarin.
Monté silencieusement dans la chaire, Charles Di Meglio commence la lecture des Confessions de Saint Augustin dans le style de la déclamation baroque, plus connu pour le répertoire musical. Sans un sourire. Les phrases sont gestualisées selon une chorégraphie précise et rigoureuse, toujours dissymétrique. Dieu: un doigt pointé vers le ciel. L'âme: les deux mains, une dessus, une dessous, enferment un précieux trésor au niveau du cœur…
Chaque mot prend tout son poids visuel.
C'est la diction qui surprend le plus, lente et appuyée, avec ces lettres que le français moderne a oubliées, ces s et ces r à la fin des mots, ces anciens oué pour notre wa: la foué, le roué… Malgré la beauté du phrasé, les premières phrases sont difficiles à suivre. En quelques minutes il faut réapprendre une langue perdue.
Mais l'étrangeté de cette langue redonne une force inattendue aux mots. A syllabes lentement roulées dans la bouche, la mystique prend une saveur puissante et charnelle. 
Je pensais faire une lecture, dit le comédien, mais le texte m'a complètement absorbé, il est entré sans effort, je n'ai pas besoin de mes papiers. Et la récitation solitaire dure une heure et quart! Charles semble totalement habité par son texte. Et c'est ce qui frappe le plus, cette résonnance mystique d'un siècle à l'autre…
Car le Saint Augustin du quatrième siècle, dans une émotion très-moderne, raconte une jeunesse dissipée, un vague mal-être, une grave maladie, le doute qui s'insinue, la fidélité de sa mère, le questionnement spirituel…
Enfin, je rentrai en moi-même, dit-il… C'est peut-être la phrase centrale. Peu à peu, il s'ouvre à une expérience mystique, il vit une conversion. Et dans sa recherche, il va se passionner pour les textes de Saint Paul, ce flamboyant converti du premier siècle, qui a connu le bouleversement du Chemin de Damas et trois jours d'aveuglement, avant de peu à peu comprendre d'autres textes plus anciens, guidé par le vieil Ananie. Et voilà qu'à dix-septième siècle, Arnaud d'Andilly ressuscite ces confessions dans une langue extrêmement forte, comme saisi à son tour. A-t-il vécu une expérience de conversion, je ne sais pas. Mais certainement ce port-royaliste a vu dans les Confessions le cheminement d'une âme solitaire, la revendication d'une liberté intérieure face à une Eglise alors toute puissante et souvent intrusive dans les consciences…
Malgré la querelle des jésuites et des port-royalistes au dix-septième siècle, querelle très-anecdotique au regard de ces expériences mystiques individuelles, je ne peux m'empêcher d'évoquer la conversion d'Ignace de Loyola, au seizième siècle. La jeunesse gourmande et insatisfaite, l'accident, la grande douleur du corps, l'entrée en interiorité, le cheminement, l'apprentissage du discernement, la conversion, aussi brutale que discrète et progressive…
Car ce texte, cette entrée en interiorité, poursuit son chemin au fil des siècles, comme un écho de  conscience en conscience. Quelle aventure personnelle Charles y déchiffre-t-il? Ce dont je suis sûre, c'est qu'il ne se contente pas d'un jeu d'acteur, et c'est ce qui rend cette lecture saisissante et bouleversante.




Christine de Pas.