la Compagnie

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Monday, December 3, 2012

De Augustino secunda vox populi.

Après l'assistance présente à Sainte-Clotilde en octobre, quelques uns de nos auditeurs du 23 novembre à Saint-Roch nous parlent de la première du cycle des Lectures Saintes, celle des Confessions de Saint Augustin.

Des pans de nuages s'enroulant autour des rayons dissymétriques de la lumière divine, une voûte éclairée par un envol d'anges, une Nativité sculptée aux personnages contournés et chargés d'émotion… On est dans l'esthétique baroque, dans le chœur de l'église Saint-Roch. Mais un éclairage minimal à la bougie, un lecteur sobre et grave, vêtu de noir… 
On est dans l'univers austère de Port-Royal-des-Champs, à l'époque de Mazarin.
Monté silencieusement dans la chaire, Charles Di Meglio commence la lecture des Confessions de Saint Augustin dans le style de la déclamation baroque, plus connu pour le répertoire musical. Sans un sourire. Les phrases sont gestualisées selon une chorégraphie précise et rigoureuse, toujours dissymétrique. Dieu: un doigt pointé vers le ciel. L'âme: les deux mains, une dessus, une dessous, enferment un précieux trésor au niveau du cœur…
Chaque mot prend tout son poids visuel.
C'est la diction qui surprend le plus, lente et appuyée, avec ces lettres que le français moderne a oubliées, ces s et ces r à la fin des mots, ces anciens oué pour notre wa: la foué, le roué… Malgré la beauté du phrasé, les premières phrases sont difficiles à suivre. En quelques minutes il faut réapprendre une langue perdue.
Mais l'étrangeté de cette langue redonne une force inattendue aux mots. A syllabes lentement roulées dans la bouche, la mystique prend une saveur puissante et charnelle. 
Je pensais faire une lecture, dit le comédien, mais le texte m'a complètement absorbé, il est entré sans effort, je n'ai pas besoin de mes papiers. Et la récitation solitaire dure une heure et quart! Charles semble totalement habité par son texte. Et c'est ce qui frappe le plus, cette résonnance mystique d'un siècle à l'autre…
Car le Saint Augustin du quatrième siècle, dans une émotion très-moderne, raconte une jeunesse dissipée, un vague mal-être, une grave maladie, le doute qui s'insinue, la fidélité de sa mère, le questionnement spirituel…
Enfin, je rentrai en moi-même, dit-il… C'est peut-être la phrase centrale. Peu à peu, il s'ouvre à une expérience mystique, il vit une conversion. Et dans sa recherche, il va se passionner pour les textes de Saint Paul, ce flamboyant converti du premier siècle, qui a connu le bouleversement du Chemin de Damas et trois jours d'aveuglement, avant de peu à peu comprendre d'autres textes plus anciens, guidé par le vieil Ananie. Et voilà qu'à dix-septième siècle, Arnaud d'Andilly ressuscite ces confessions dans une langue extrêmement forte, comme saisi à son tour. A-t-il vécu une expérience de conversion, je ne sais pas. Mais certainement ce port-royaliste a vu dans les Confessions le cheminement d'une âme solitaire, la revendication d'une liberté intérieure face à une Eglise alors toute puissante et souvent intrusive dans les consciences…
Malgré la querelle des jésuites et des port-royalistes au dix-septième siècle, querelle très-anecdotique au regard de ces expériences mystiques individuelles, je ne peux m'empêcher d'évoquer la conversion d'Ignace de Loyola, au seizième siècle. La jeunesse gourmande et insatisfaite, l'accident, la grande douleur du corps, l'entrée en interiorité, le cheminement, l'apprentissage du discernement, la conversion, aussi brutale que discrète et progressive…
Car ce texte, cette entrée en interiorité, poursuit son chemin au fil des siècles, comme un écho de  conscience en conscience. Quelle aventure personnelle Charles y déchiffre-t-il? Ce dont je suis sûre, c'est qu'il ne se contente pas d'un jeu d'acteur, et c'est ce qui rend cette lecture saisissante et bouleversante.




Christine de Pas.

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