la Compagnie

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Friday, November 16, 2012

De l'oxymore et de la déclamation baroques.


Nos Lectures saintes sont présentées par un petit texte qui tente de définir la déclamation baroque, et que nous donnons ici.

Le mot baroque vient du portugais barocco, désignant une perle rare par sa forme irrégulière — un objet de valeur, donc, rendu plus valeureux encore par son irrégularité singulière. Ce qui est très révélateur de toute la pensée baroque, qui repose avant tout dans l’opposition et l’équilibre de deux contraires. C’est un oxymore permanent: c’est rendre visible ce qui est caché.

C’est un oxymore que l’on peut d’ailleurs facilement reconnaître dans la peinture de l’époque, où tout est construit de façon dissymétrique, jusque dans la position même des corps: car la symétrie, c’estla rencontre de deux forces égales et équilibrées, c’est donc la mort. Il n’y a qu’à voir: la seule figuration d’un corps symétrique dans l’art de l’époque, c’est celle des cadavres, mais aussi celle du corps du Christ mort!
Si l’on peut voir dans la peinture cet oxymore, c’est bien dans la Parole baroque qu’il se révèle pleinement. C'est une parole régie par la rhétorique, héritée des Grecs et des Romains, et c’est elle qui structure le discours. Rappelons que la rhétorique, telle qu’elle a été codifiée par les sophistes, se divise en cinq étapes indissociables: inventio, dispositio, elocutio, memoria et enfin, pronuntiatio (notons donc que la Parole orale en est une des étapes essentielles).
Et qu’est-ce que la rhétorique, sinon partir d’un raisonnement et d’une construction purement intellectuels, à travers ses cinq étapes obligatoires, pour obtenir un discours, une Parole, qui viendra toucher le cœur, et émouvoir l’auditeur pourle porter avec la parole — car l’émotion n’est jamais oubliée, quoi qu’on pense de l’époque, et c'est elle qui dicte la construction artistique.
La Parole créé les choses et les rend visibles, de même que le Monde est issu du Dieu-Verbe.
Ainsi, cette Parole baroque est sacralisée. De telle sorte qu’elle ne peut donc pas être naturelle au sens où nous l’entendons aujourd’hui: elle est volontairement artificielle et codifiée, parce que soumise à des règles intellectuelles, pour parvenir à une émotion —comme c'est encore le cas du Kabuki au Japon.
Et c’est de ce paradoxe (à savoir ce mouvement de la rhétorique à l’émotion), que naît la déclamation baroque: la Parole est rendue visible en traversant le corps de celui qui la porte et qui la traduit en la déclamant; ainsi ce déclamateur se doit donc d’adopter une position frontale, afin de ne pas détourner cette Parole de l’auditeur.
Deux personnages échangeant dans une tragédie de Racine sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, par exemple, étaient donc tous deux face au public, se parlant, sans que leurs regards ne se croisent.
Aujourd’hui, nous crierions à un artifice grossier, à des acteurs qui ne vivent pas ce qu’ils disent; mais au contraire: c’était l’assistance qui vivait, à travers la Parole, les émotions qui naissaient de celle-ci.
Le déclamateur n’avait pas vocation à représenter mais à présenter.

Si l’on veut se figurer complètement la déclamation baroque, rappelons nous que la pronuntiatio (l’étape finale de la rhétorique), était aussi appelée par Quintilien actio.
Et ce terme d’actio illustre finalement l'un des éléments fondamentaux de la déclamation baroque à savoir, la gestuelle qui vient mettre en relief ces mots, et les amplifier. Le texte déclamé est donc entièrement gestualisé.

Notre travail, à la Compagnie Oghma, a toujours été porté sur cette Parole créatrice, d’où toute l’action théâtrale et émotive se doit de naître et découler, à travers l’acteur la traduisant par sa voix, par son corps. C’est donc en toute logique que nous nous laissons porter aujourd’hui par ces textes véritablement sacrés — et ce cycle de Lectures saintes est le parangon de notre démarche depuis nos débuts, nous confrontant justement au Verbe à proprement parler.
Zelda Bourquin, assistante des productions de la Compagnie.

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