La Passion du Christ (ça commence à se savoir), est un épisode qui me fascine, et depuis toujours.
C'est d'ailleurs la Passion qui m'a amené au baroque et à sa musique, à travers la Saint Matthieu de Bach — et, lorsque je la découvrai, je me disais que le texte et la musique en étaient tellement dramatiques et poignants qu'on en devait faire un spectacle — m'arrêtant vivement dans cette idée, n'arrivant pas à m'imaginer la chose autrement que le film un peu figé que tourne Orson Welles dans la Ricotta de Pasolini.
Et tandis que je travaille maintenant sur le texte à proprement parler, celui de Saint Matthieu traduit par Louis-Isaac Lemaître de Sacy en 1667, pour la dernière des Lectures saintes, cette fascination s'augmente à nouveau — d'ailleurs, tout le cycle des Lectures saintes que la Compagnie a donnée cette saison-ci est parti de l'idée de cette Passion déclamée; car c'était quelque chose que j'avais un grand désir voulais faire, pour donner le texte à entendre, et lui redonner toute sa force extraordinaire, à travers cet exercice un peu étrange qu'est la déclamation baroque française.
Et alors que, lorsque nous préparions Phèdre & Hippolyte de Jean Racine, j'étais arrivé à la conclusion que la tragédie était elle-même une longue passion quasi-christique pour Hippolyte — d'où l'interpolation d'extraits de la BWV 244 entre les actes — parfois il me semble maintenant que cette Passion (et c'est peut-être ce qui m'y attire plus que tout autre passage), à l'inverse, est une sorte de tragédie grecque (ou baroque, évidemment, mais ça se rejoint!)
Avec sa fin terrible prévue dès le départ (c'est d'ailleurs l'annonce de cette fin qui en ouvre le récit), et même avant, par des oracles lointains (cités deux fois dans le texte même, sans parler des références constantes aux Prophètes que ne manque pas de souligner Sacy dans son édition) — avec même un kommos vers la fin, lorsque le désespoir du héros est si intense qu'il se prend à crier contre Dieu!
Et d'ailleurs, Johann Theile, dans son oratorio des années 1670, le transcrit mieux que quiconque, entraînant tout le drame d'une ligne de continuo frénétique qui ne permet pas la moindre respiration, cavalant vers la fin irrévocable, sinon dans les airs où l'on peut s'adonner à sa douleur.
Mais, aussi, et surtout, ce qui me fascine le plus dans tout ça, et me surprend à chaque fois davantage, c'est la grande humanité du Christ, qui ressurgit tout au long du récit. Car jamais comme ici, sa part humaine ne ressort-elle à ce point — il n'y a qu'à écouter les Sieben Worte Jesu Christi am Kreuz de Schütz, entre autres, pour s'en persuader, où la basse calme du Christ répond si doucement à ceux qui lui adressent la parole. Mais évidemment, qui rend cet oxymore — celui de l'humanité divine du Christ, selon les Ecritures — plus perceptible que le peintre et de Port-Royal, et que je mets par dessus tous les autres de son temps, sinon Philippe de Champagne, dans son Ecce Homo bouleversant?
Et ce sont tous ces éléments qui rendent cette lecture si difficile; être au juste milieu entre récit de douleur, humanité du Christ, sang et larmes, trahisons, et nécessité d'un sacrifice terrifiant — d'autant que, si je suis familier de la perception baroque allemande du texte, pour avoir collectionné les oratori protestetants au cours des années, sa perception française m'est bien plus étrangère: car après une partition de Sermisy, nous abandonnâmes complètement la mise en musique du récit, qui était fait en latin à plusieurs voix pendant la semaine sainte, nos compositeurs préférant s'illustrer dans les Leçons de Ténèbres. Certes, elles donnent une petite idée de comment envisager la Semaine sainte, et toute la douleur qu'elle véhiculait à l'époque, mais ce n'est pas tout à fait assez, et, en répétant, je me rends parfois compte que je me laisse souvent enraîner par le rythme allemand du texte — ce n'est pas terrible!
Alors, pour essayer aussi d'imaginer un peu mieux le dimanche des Rameaux de 1667 à Paris, la prenant sous un autre angle que celui que la déclamation baroque donne déjà, je prends parfois le texte latin d'époque (paré, naturellement, de ses accentuations), et le déclame — puisque c'est avant tout comme cela que l'on pouvait l'entendre quand j'étais plus jeune et que Saint-Cyran disait encore la messe devant la Mère Angélique Arnauld —, à la simple lueur des bougies qui éclairent nos laboratoires, en attendant demain et notre générale à Saint-Roch que nous plongerons déjà dans le noir.
Et à mesure qu'avancent mes répétitions, seul, ou surtout avec Clément Couturier qui accompagnera le récit des orgues puissantes de nos deux églises habituelles, je me dis que c'est vraiment une chance inouïe que de pouvoir dire ce texte — et que nos présentations devraient pouvoir émouvoir tant croyants que non — car c'est avant tout un grand drame universel qui se déroule devant nous, inexorable.
Charles.
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