la Compagnie

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Tuesday, March 26, 2013

De Passione Jesu Christi vox populi.

Dernière création de notre saison 12-13, La Passion les déchaînent, et les spectateurs l'évoquent.



Charles Di Meglio a achevé le 27 mars son cycle de Lectures saintes en déclamation baroque par celle de la Passion selon Saint Matthieu, accompagnée à l'orgue par Clément Couturier qui jouait une passion anonyme contemporaine de la traduction de l'Evangile utilisée.
La déclamation étant un art oratoire à vocation spectaculaire, d’aucuns pourraient se demander comment inciter un public jeune et souvent déconnecté de la religion à assister à de telles présentations? Il leur aurait suffi de se rendre à Saint-Roch mercredi soir dernier pour dissiper leurs craintes et interrogations.
L’ambiance à elle seule revêtait un intérêt fascinant. Mais si la célèbre paroisse des artistes dans laquelle repose Corneille impose déjà par son architecture, la mise en scène soigneusement préparée par la Compagnie Oghma a beaucoup participé à ancrer le texte dans une réalité spatiale appropriée. C’est en effet dans des lumières artificielles closes, un éclairage ensorcelé par quelques bougies, qu’on a pu prendre place au sein du chœur, où un silence religieux s’est installé de lui-même.  Charles a alors pris place devant le maître-autel et sa croix, après quelques pas détachés, dans un style qui annonce lui aussi d’emblée sa couleur: baroque. Sa voix puissante et pénétrante, continuellement rythmée, ponctuée par instants par les vibrations de l’orgue, charmait nos oreilles. Mais les bonnes surprises ne se sont pas arrêtées là. Pendant la déclamation, brusquement, certaines personnes du public se sont levées de concert, et prenant ensemble la voix du peuple, ont réclamé la libération de Barabbas et la crucifixion de Jésus. L’effet était saisissant, mais pas encore à son apogée: le moment le plus envoûtant s’est trouvé être celui où Charles s’est mis à chanter, sa voix résonnant en nous aussi bien que dans les hauteurs de Saint Roch, et ce, même après son départ de l’estrade, dans une démarche toujours baroque, jusqu’au bout, dans le noir.
Ce tableau ainsi dessiné, comment répondre autrement à l’initial questionnement que par un unique mot? Car si la déclamation baroque de Charles a su attirer la passion d’un public si varié, c’est bien parce qu’il s’agit d’Art.

Olivia Chironenvoyée spéciale à Saint-Roch.


Les Rameaux. L'entrée dans la Semaine Sainte. Semaine aussi riche que difficile pour tout chrétien, liturgiquement marquée par une quadruple lecture de la Passion du Christ: d'emblée, Saint Matthieu, puis du mercredi au vendredi, Saints Marc, Luc et Jean.
Cette année pourtant, ma montée vers Pâques s'est ouverte, avant même la lecture de l'heureuse entrée du Messie à Jérusalem acclamé par la foule, par une présentation à la fois plus dure et beaucoup plus grande.
La Compagnie Oghma a en effet pris le soin de clore le crescendo théologique et mystique de son cycle des Lectures saintes par l'apothéose de la Très-Sainte Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, selon Saint Matthieu, dans la traduction port-royaliste de Louis-Isaac Lemaître de Sacy, l'accompagnant à l'orgue par la partition d'une Passion anonyme du dix-septième siècle, conservée à Uppsala en Suède.
Je laisse le lecteur se faire une idée de cette présentation via la description qui suit, qui ne se veut ni exhaustive ni neutre, puisqu'elle est mienne.
N'est-ce pas propre à l'Art et à la Foi que de connaître une perception personnelle et une réception exclusive en chaque individu? Imaginez donc ce qu'il en est lorsqu'ils sont mêlés!
Dimanche après-midi régnaient pénombre, lueur de bougies et silence, propices à l'apaisement et au recueillement, dans la chapelle attenante à la basilique Sainte-Clotilde; lorsqu'est entré Charles avec lenteur, rapidement suivi de la fanfare du plein jeu des orgues enlevées de Clément Couturier.
La douceur, la gravité, la violence et la douleur ont alors tour à tour envahi l'espace, à travers la personne de Charles, la musique et le chœur.
Le texte transportait Charles, qui portait quant à lui l'esthétisme de la déclamation baroque. Appuyé par la profondeur de l'orgue, le caractère mystique de l'ensemble a pu se prononcer, jusqu'à se lire sur le visage des personnes présentes.
Quelle meilleure façon de forcer l'écoute du chrétien blasé que tant de profondeur?
Quel chemin plus efficace que cette transcendance pour faire pénétrer la beauté et l'Amour du geste sacrificiel de l'Agneau au cœur fermé du profane?
Nul besoin dimanche de croire ou même de douter pour cerner cette indicible profondeur, cette vérité qui nous dépasse.
C'est cela, la Foi. Elle se caractérise par la remise en cause permanente.
En cette Semaine Sainte, courrez assister à la présentation de mercredi soir à Saint-Roch; et ayons l'humilité de se reconnaître plus petit que ce Mystère.

Aliénor de Mandat Grancey, une de nos terribles choristes.

Thursday, March 21, 2013

De la générale (mais une autre).

Ce sont les jambes encore tremblantes d'émotion que je me précipite sur mon clavier derechef, rentrant à peine de Saint-Roch où Clément Couturier et moi faisions ce soir la répétition générale de la Passion selon Saint Matthieu, avant la première à Sainte-Clotilde dimanche — d'une émotion comme j'en ai éprouvé peu dans ma carrière, et qui doit être au moins aussi forte que celle que j'ai ressentie lorsque j'ai mis les pieds pour la première fois sur la scène de l'Opéra Royal de Versailles, et qui, je le sens, va me porter longtemps encore.
C'était évidemment l'occasion pour Clément — qui accompagne le récit d'une Passion anonyme, datée de 1667 (la même année que la première publication de notre traduction) et conservée à Uppsala — d'essayer les orgues sur lesquelles il jouera mercredi 27 mars, pour la deuxième de la présentation.
Mais lesquelles? — car il y en a trois dans l'église.
Et, avant de nous enfermer dans l'église (et c'est là où ça devient rigolo), le curé de la paroisse nous avait laissé le trousseau avec les clés des trois!
D'abord un tout petit Cavallié-Coll de chœur, placé à côté de la chaire d'où je déclamais Les Confessions en novembre, dans la Chapelle de la Vierge, qui est l'endroit où il était prévu que la présentation se fasse.
Très vite, ça ne marche pas: trop d'air dans les tuyaux, pas assez de jeux, donc trop peu de variations dans les couleurs (quand Clément en a trouvé toute une palette à Sainte-Clotilde), et puis je ne l'entends pas, lorsque Clément vient me soutenir (pour permettre que les paroles de Jesus-Christ, soient dites en autre ton que les autres, pour signifier qu'elles partaient d'une plus grande douceur de cette sacrée bouche que d'aucune autre qui ait jamais été, comme le stipule mon bréviaire romain de 1654).
Alors, nous décidons d'essayer un autre orgue de chœur, mais de l'autre côté du maître-autel somptueux. 
Evidemment, nous ne nous voyons pas, mais nous entendons, ce que nous pensons être le principal pendant quelques instants. Très vite, on décide que ce serait quand même mieux si nous n'étions pas séparés.
Mais l'orgue est quand même vachement mieux.
Je passe donc devant le maître-autel.
La nef vide se présente devant moi, Clément est à ma gauche, à peine visible dans cette immense perspective impressionnante et émouvante. 
Et tout de suite, on saisit que c'est ça. Que c'est ça qu'on aurait dû faire depuis le début, comme nous l'avions évoqué quelques instants avant de commencer la répétition, que c'est là que nous devons être.
Car tout devient limpide, évident.
Nous sommes transportés au dix-septième siècle
Et, dans la mi-pénombre de l'église vide à peine éclairée, nous continuons notre filage, portés par l'ampleur du lieu, par sa force aussi, qu'il nous semble transmettre, nous portant avec lui, vers ce que j'avais envisagé au départ pour cette présentation: une évocation de ce que pouvait être au dix-septième à Paris le cœur de la Semaine sainte, avec ses bougies vascillantes dans les ténèbres d'une église tendue de noir, avec sa ferveur douloureuse et cependant profondément humaine.
Charles.

Tuesday, March 19, 2013

An die Passion Christi.

La Passion du Christ (ça commence à se savoir), est un épisode qui me fascine, et depuis toujours.
C'est d'ailleurs la Passion qui m'a amené au baroque et à sa musique, à travers la Saint Matthieu de Bach — et, lorsque je la découvrai, je me disais que le texte et la musique en étaient tellement dramatiques et poignants qu'on en devait faire un spectacle — m'arrêtant vivement dans cette idée, n'arrivant pas à m'imaginer la chose autrement que le film un peu figé que tourne Orson Welles dans la Ricotta de Pasolini.
Et tandis que je travaille maintenant sur le texte à proprement parler, celui de Saint Matthieu traduit par Louis-Isaac Lemaître de Sacy en 1667, pour la dernière des Lectures saintes, cette fascination s'augmente à nouveau — d'ailleurs, tout le cycle des Lectures saintes que la Compagnie a donnée cette saison-ci est parti de l'idée de cette Passion déclamée; car c'était quelque chose que j'avais un grand désir voulais faire, pour donner le texte à entendre, et lui redonner toute sa force extraordinaire, à travers cet exercice un peu étrange qu'est la déclamation baroque française.
Et alors que, lorsque nous préparions Phèdre & Hippolyte de Jean Racine, j'étais arrivé à la conclusion que la tragédie était elle-même une longue passion quasi-christique pour Hippolyte — d'où l'interpolation d'extraits de la BWV 244 entre les actes — parfois il me semble maintenant que cette Passion (et c'est peut-être ce qui m'y attire plus que tout autre passage), à l'inverse, est une sorte de tragédie grecque (ou baroque, évidemment, mais ça se rejoint!)
Avec sa fin terrible prévue dès le départ (c'est d'ailleurs l'annonce de cette fin qui en ouvre le récit), et même avant, par des oracles lointains (cités deux fois dans le texte même, sans parler des références constantes aux Prophètes que ne manque pas de souligner Sacy dans son édition) — avec même un kommos vers la fin, lorsque le désespoir du héros est si intense qu'il se prend à crier contre Dieu!
Et d'ailleurs, Johann Theile, dans son oratorio des années 1670, le transcrit mieux que quiconque, entraînant tout le drame d'une ligne de continuo frénétique qui ne permet pas la moindre respiration, cavalant vers la fin irrévocable, sinon dans les airs où l'on peut s'adonner à sa douleur.

Mais, aussi, et surtout, ce qui me fascine le plus dans tout ça, et me surprend à chaque fois davantage, c'est la grande humanité du Christ, qui ressurgit tout au long du récit. Car jamais comme ici, sa part humaine ne ressort-elle à ce point — il n'y a qu'à écouter les Sieben Worte Jesu Christi am Kreuz de Schütz, entre autres, pour s'en persuader, où la basse calme du Christ répond si doucement à ceux qui lui adressent la parole. Mais évidemment, qui rend cet oxymore — celui de l'humanité divine du Christ, selon les Ecritures — plus perceptible que le peintre et de Port-Royal, et que je mets par dessus tous les autres de son temps, sinon Philippe de Champagne, dans son Ecce Homo bouleversant?

Et ce sont tous ces éléments qui rendent cette lecture si difficile; être au juste milieu entre récit de douleur, humanité du Christ, sang et larmes, trahisons, et nécessité d'un sacrifice terrifiant — d'autant que, si je suis familier de la perception baroque allemande du texte, pour avoir collectionné les oratori protestetants au cours des années, sa perception française m'est bien plus étrangère: car après une partition de Sermisy, nous abandonnâmes complètement la mise en musique du récit, qui était fait en latin à plusieurs voix pendant la semaine sainte, nos compositeurs préférant s'illustrer dans les Leçons de Ténèbres. Certes, elles donnent une petite idée de comment envisager la Semaine sainte, et toute la douleur qu'elle véhiculait à l'époque, mais ce n'est pas tout à fait assez, et, en répétant, je me rends parfois compte que je me laisse souvent enraîner par le rythme allemand du texte — ce n'est pas terrible!

Alors, pour essayer aussi d'imaginer un peu mieux le dimanche des Rameaux de 1667 à Paris, la prenant sous un autre angle que celui que la déclamation baroque donne déjà, je prends parfois le texte latin d'époque (paré, naturellement, de ses accentuations), et le déclame — puisque c'est avant tout comme cela que l'on pouvait l'entendre quand j'étais plus jeune et que Saint-Cyran disait encore la messe devant la Mère Angélique Arnauld —, à la simple lueur des bougies qui éclairent nos laboratoires, en attendant demain et notre générale à Saint-Roch que nous plongerons déjà dans le noir.

Et à mesure qu'avancent mes répétitions, seul, ou surtout avec Clément Couturier qui accompagnera le récit des orgues puissantes de nos deux églises habituelles, je me dis que c'est vraiment une chance inouïe que de pouvoir dire ce texte — et que nos présentations devraient pouvoir émouvoir tant croyants que non — car c'est avant tout un grand drame universel qui se déroule devant nous, inexorable.
Charles.

Wednesday, March 6, 2013

La Notte.

Quand vient la nuit, après une journée de répétitions, qu'on ne croie pas que le metteur en scène — ou l'acteur au demeurant — aille dormir du sommeil du juste, se reposant de ses durs labeurs!
Bien au contraire, c'est parfois même un moment d'appréhension — car on ne sait pas de quoi elle sera faite.
Car, si l'on parvient à dormir, Morphée se pare de ses plus terrifiants atours, et au lieu de nous livrer une agréable ritournelle de hautbois, nous assène ses plus terribles chœurs de régales et de cromornes!
Et souvent, et d'autant plus à l'approche d'une première, comme aujourd'hui, à la veille de la création en lecture d'Elizabeth R., et à peine à une paire de semaines de celle de la Passion à Sainte-Clotilde, ces nuits glaciales sont hantées des cauchemars les plus effroyables interrompus souvent par un réveil dans des bains de sueur tout aussi froids. Et souvent, bien sûr, on y retrouve des éléments, des similitudes, qui se répétent d'une fois à l'autre.
Tandis donc, que ma nuit dernière est encore un souvenir épouvantable, voici que, peut-être pour le chasser, je m'en vais livrer quelques uns des plus terribles — l'on s'amusera peut-être à les analyser, cela ne me regarde plus, l'angoisse perpetuelle qu'ils livrent et laissent me suffit bien assez!

Je m'apprête à monter sur scène, mais je me rends compte, au moment même où je sors des coulisses, que je ne suis pas du tout dans le bon costume, et qu'au lieu d'être dignement dans celui qui représenterait ma fonction dans la pièce, je suis affublé d'un déguisement en mousse d'un grossier dinosaure!
Mais il est trop tard, et je bondis sur scène, frémissant à l'idée de la réaction tant de mes partenaires dont je viens de gâcher le travail, que de celle du public, qui ne pourra manquer d'être hilare.
Seulement, et l'on ne m'a pas prévenu, le plancher de la scène a été remplacé par un trampoline géant.
Voici donc que je m'élance dans les airs sans me rendre compte de ce qui se passe, que j'y croise également mes partenaires, et nous rebondissons très haut, sans sembler pouvoir nous arrêter ne serait-ce qu'un instant.
*
* *
Je dois chanter Du Liniang dans une version de concert du Pavillon aux pivoines, mais je n'ai pas vraiment travaillé ma partition, et au dernier moment on m'apprend que je sera également doublé par une chanteuse chinoise. Seulement on ne me dit pas du tout quelle partie du concert elle va chanter, ni à quel moment ce sera à moi de rentrer sur scène.
Le concert débute, c'est elle qui monte la première. J'attends longtemps, fébrilement, prêt à la remplacer au moindre signe du chef d'orchestre, ou d'un régisseur — mais personne ne sait quand nous devons échanger nos places.
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La première d'un opéra à trois personnages, sur un principe de vaudeville, mais à l'intrigue et à la musique plus humains et profonds, comme du Strindberg (oui, encore un Viking).
Je joue l'amant, en redingote blanche.

Je n'ai non seulement pas appris la musique, mais le texte même, dans une langue très étrange, m'échappe.
Je suis en coulisses, des coulisses larges et agréables, qui permettent de bien voir ce qui se passe sur scène, et donc d'appréhender encore plus son entrée — aussi à travers la qualité de la prestation de mes partenaires déjà entrés et très à l'aise — que, malgré l'absence de connaissance que j'ai de l'œuvre, je situe avec précision, tremblant de ne rien connaître, et de tout faire faillir.
Je monte sur scène, contraint de le faire, sans pouvoir plus reculer.

Charles.