Dernière création de notre saison 12-13, La Passion les déchaînent, et les spectateurs l'évoquent.
Charles Di Meglio a achevé le 27 mars son cycle de
Lectures saintes en déclamation baroque par celle de la Passion selon Saint Matthieu, accompagnée à l'orgue par Clément Couturier qui jouait une passion anonyme contemporaine de la traduction de l'Evangile utilisée.
La déclamation étant
un art oratoire à vocation spectaculaire, d’aucuns pourraient se demander
comment inciter un public jeune et souvent déconnecté de la religion à assister
à de telles présentations? Il leur aurait suffi de se rendre à Saint-Roch
mercredi soir dernier pour dissiper leurs craintes et interrogations.
L’ambiance à
elle seule revêtait un intérêt fascinant. Mais si la célèbre paroisse
des artistes dans laquelle repose Corneille impose déjà par son
architecture, la mise en scène soigneusement préparée par la Compagnie Oghma a
beaucoup participé à ancrer le texte dans une réalité spatiale appropriée.
C’est en effet dans des lumières artificielles closes, un éclairage ensorcelé par
quelques bougies, qu’on a pu prendre place au sein du chœur, où un
silence religieux s’est installé de lui-même. Charles a alors pris place devant le maître-autel et sa croix, après quelques
pas détachés, dans un style qui annonce lui aussi d’emblée sa couleur:
baroque. Sa voix puissante et pénétrante, continuellement rythmée, ponctuée par
instants par les vibrations de l’orgue, charmait nos oreilles. Mais les bonnes surprises ne se sont pas arrêtées
là. Pendant la déclamation, brusquement, certaines personnes du public se sont
levées de concert, et prenant ensemble la voix du peuple, ont réclamé la
libération de Barabbas et la crucifixion de Jésus. L’effet était saisissant, mais pas encore à
son apogée: le moment le plus envoûtant s’est trouvé être celui où Charles
s’est mis à chanter, sa voix résonnant en nous aussi bien que dans les hauteurs
de Saint Roch, et ce, même après son départ de l’estrade, dans une démarche
toujours baroque, jusqu’au bout, dans le noir.
Ce tableau ainsi
dessiné, comment répondre autrement à l’initial questionnement que par un
unique mot? Car si la déclamation baroque de Charles a su attirer la
passion d’un public si varié, c’est bien parce qu’il s’agit d’Art.
Olivia Chiron, envoyée spéciale à Saint-Roch.
Les Rameaux. L'entrée dans la
Semaine Sainte. Semaine aussi riche que difficile pour tout chrétien,
liturgiquement marquée par une quadruple lecture de la Passion du Christ:
d'emblée, Saint Matthieu, puis du mercredi au vendredi, Saints Marc, Luc et
Jean.
Cette année pourtant, ma montée
vers Pâques s'est ouverte, avant même la lecture de l'heureuse entrée du Messie
à Jérusalem acclamé par la foule, par une présentation à la fois plus dure et
beaucoup plus grande.
La Compagnie Oghma a en effet
pris le soin de clore le crescendo théologique et mystique de son cycle des
Lectures saintes par l'apothéose de la Très-Sainte Passion de notre Seigneur
Jésus-Christ, selon Saint Matthieu, dans la traduction port-royaliste de
Louis-Isaac Lemaître de Sacy, l'accompagnant à l'orgue par la partition d'une
Passion anonyme du dix-septième siècle, conservée à Uppsala en Suède.
Je laisse le lecteur se faire une
idée de cette présentation via la description qui suit, qui ne se veut ni
exhaustive ni neutre, puisqu'elle est mienne.
N'est-ce pas propre à l'Art et à
la Foi que de connaître une perception personnelle et une réception exclusive
en chaque individu? Imaginez donc ce qu'il en est lorsqu'ils sont mêlés!
Dimanche après-midi régnaient
pénombre, lueur de bougies et silence, propices à l'apaisement et au
recueillement, dans la chapelle attenante à la basilique Sainte-Clotilde;
lorsqu'est entré Charles avec lenteur, rapidement suivi de la fanfare du plein jeu des orgues
enlevées de Clément Couturier.
La douceur, la gravité, la
violence et la douleur ont alors tour à tour envahi l'espace, à travers la
personne de Charles, la musique et le chœur.
Le texte transportait Charles,
qui portait quant à lui l'esthétisme de la déclamation baroque. Appuyé par la
profondeur de l'orgue, le caractère mystique de l'ensemble a pu se prononcer,
jusqu'à se lire sur le visage des personnes présentes.
Quelle meilleure façon de forcer
l'écoute du chrétien blasé que tant de profondeur?
Quel chemin plus efficace que
cette transcendance pour faire pénétrer la beauté et l'Amour du geste
sacrificiel de l'Agneau au cœur fermé du profane?
Nul besoin dimanche de croire ou même
de douter pour cerner cette indicible profondeur, cette vérité qui nous
dépasse.
C'est cela, la Foi. Elle se
caractérise par la remise en cause permanente.
En cette Semaine Sainte, courrez
assister à la présentation de mercredi soir à Saint-Roch; et ayons l'humilité de
se reconnaître plus petit que ce Mystère.
Aliénor de Mandat Grancey, une de nos terribles choristes.