la Compagnie

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Thursday, October 6, 2011

Le Crime de la Pagode.

Samedi premier octobre 2011 – Midi.

On devrait toujours se méfier des somptueux jours d’automne qui ressemblent à des jours d’été. On arrive en toute insouciance, le pied léger, cheveux au vent, humant l’air de la rue de Babylone inondée de soleil, sous le dais d’azur pur d’un ciel exotique. Paris est calme, presque campagnard. On ne se doute de rien, pauvres innocents que nous sommes. Le nom même de la rue aurait pourtant dû nous mettre la puce à l’oreille: Babylone, là où le ciel et la terre cherchent à se rejoindre. Nous marchons sans y penser sur les ruines d’un puissant royaume antique en déclin, nous avançons vers la décadence, nous allons sombrer dans la déliquescence et le pêché. Celui de la Grande Prostituée dont Saint Jean Baptiste cingle la belle Salomé pour mieux la repousser: Fille de Babylone! N’est-ce pas un assez puissant signal d’alarme pour nos oreilles sourdes?

Mais il fait beau, décidément. Les arbres du jardin de la Pagode frémissent et se parent d’or, et toujours aveuglés de plaisir, nous nous enfournons dans ce bâtiment insolite, tarabiscoté, magnifique, qui nous entraine vers Tokyo, Pékin, vers les grands arbres du Tonkin. La Mésopotamie est loin derrière nous. Place au vertige oriental, et aux fumeries d’opium. On en sent presque déjà l’odeur lourde et voluptueuse s’immiscer dans la salle qui s’éteint dans l’accompagnement subtil des violistes de l’Ebo, installées au bas de la scène. Sur l’écran, noir et blanc, un poing fermé s’ouvre lentement, dévoilant une main fébrile et coupable: celle d’un meurtrier. Les distances et le temps se renversent à nouveau. Nous perdons pied. Les vénéneux éclats orientaux se délitent dans les ténèbres des bas-fonds de Londres où rodent des assassins. Une arme blanche s’élève et s’abat dans la nuit. Jack L’éventreur penché sur sa victime? Celle-ci s’effondre sur le pavé gras d’une ruelle sombre et sale, parmi les déjections et les gravats. On devine des rats filant le long des murs lépreux, des filles de mauvaise vie tituber au coin des rues louches, des malfaiteurs s’évanouir sous le couvert complice de la nuit criminelle. La débauche règne partout. Des jeunes gens presque nus, couronnés de fleurs, barbouillés de champagne, se livrent à l’orgie dans une chambre où pendent des mousselines. Esprit de Teleny, es-tu là? Les mânes de Camille et de René s’exhalent dans un frisson de désir interdit… Le diable mène la danse, et tous s’agitent comme des marionnettes dont il est seul à tirer les fils.

Lord Arthur, jeune, beau, bien né, très dandy dans ses vêtements blancs, où se perd-t-il en ces rues malfamées? Vers quel destin court-il? Il va bien l’apprendre assez tôt, de la bouche édentée, répugnante, du grotesque homoncule qui a saisi sa main où son destin s’inscrit en lettres sanglantes. MEURTRE, ont prédit les lignes affolées. Que peut-on contre son destin? Lord Arthur tangue comme un homme ivre, trébuchant dans les escaliers noyés d’ombre, s’égarant dans le lacis des rues sombres.
Et si le dénouement du film n’est pas le même que celui de la nouvelle de Wilde, le metteur en scène, Charles Di Meglio a posé sur son adaptation son élégante signature. C’est lui aussi qui a décidé que son film serait muet, illustré de panneaux indicatifs en anglais, comme avant le parlant. Lui qui a pris le parti du noir et blanc, imprimant une vraie esthétique à ce film original, sombre et raffiné, semé de notes d’humour et de nombreux clins d’œil à Wilde.

Dans la salle, la musique de l’Ebo se tait, les lumières se rallument, des applaudissements fusent. On acclame le metteur en scène et les acteurs principaux qui montent sur scène : Thomas Lajudie, Christine Narovitch, Giulia Dussolier, Arthur Perier, tous saisis par une caméra inspirée, qui, dans son excentricité hilarante, qui, dans leur intimité menacée.

Dehors, le soleil surplombe toujours l’énigmatique Pagode. La foule des invités s’égaille dans le jardin, loin de l’East End victorien et des sordides ruelles londoniennes dont les effluves méphitiques se dissolvent dans les miroitements du jour. 

C’est fou ce que les émotions donnent soif! Allez, champagne pour tout le monde!
Danielle Guérin, One of Lady Gladys' guests.

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