la Compagnie

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Tuesday, March 1, 2011

Un dimanche sur le plateau de Savile.


Il se préparait une expédition interlope ce dimanche 27 février dans un immeuble de l'ouest parisien.


Le Carnaval de Venise se déroulait exactement en même temps en deux endroits cette année… En la Sérénissime et dans les studios oghmiônes. Etrange.
Nous étions tous attendus en début d'après midi, juste après la messe. Nous — une bande formée au gré des choix obscurs de notre metteur en scène. Nous ne nous connaissions pas, les sujets arrivaient les uns après les autres.

Une table de gâteaux gisait là. Offerte.
On nous demande de nous mettre au travail, de nous maquiller les uns les autres. C'était la stratégie du maître pour nous connaître l'un l'autre, trouvant trivial de nous présenter lui-même… On installe le maquillage au mieux sur une table encombrée, fait couler un café.
Zelda tente de rassurer Adriel terrifié de devoir être maquillé. Annabelle filme et photographie l'activité frénétique de chacun. Nous étions tous guidés par ce désir, comme éthéré, de donner quelque chose de nous au maître, quelque chose de bon. Le satisfaire devenait presque un défi…

Nos costumes étaient savamment rangés sur un stoyak, étiquetés à nos noms, tracés noir sur vélin, d'une écriture calligraphiée surtout pour nous impressionner.

Et voici que Katia paraît soudain enveloppée dans le costume que portait Salomé il y a cinq ans, dans la mise en scène de Charles Di Meglio. Brusquement, je suis renvoyée à ce même rayonnement de beauté, ce même teint diaphane, ce même corps grâcile et harmonieux, ce même blond vénitien de la chevelure. Mais notre Katia n'évoquait jamais l'impudicité de la princesse de Judée, transie d'amour béat et baroque qu'elle était pour son Hippolyte, Quentin, qui portait la grâce que seuls connaissent les marbres grecs. Adriel, page terrible et digne de Cocteau, paré de sa seule beauté insolente et d'un flambeau. Timothée, ange cruel loin d'être distrait, devenu pour les besoins du tournage, l'incarnation douce et majestueuse d'un athénien lunaire. Gentiment séducteur, presque farouche.
Valentin était la Peste! La terrible Peste. Silhouette effrayante, avec son masque au bec sinistre. Sinistre au point que nous n'osions plus l'appeler autrement que par son rôle. Mais enlevez-lui son habit et vous découvrez un être attendrissant et réservé.
Nathalie, marquise envoûtante, affolante et pétulante n'a fait que jouer sur scène ce qu'elle est dans la vie. Celui qui tente de l'attraper a raison de le faire mais notre Pierre y parviendra-t-il? Heureusement que Mathieu, le cardinal à la robe de pourpre, est là pour les absoudre. Béni soit-il...
Quant à Thomas, le beau Lord Arthur Savile, il semble tout à fait connaître la musique. Même s'il doit se trouver mal, mimant la lassitude, l'escalier halloweenesque lui appartenait tout entier, et, sortis du cadre, nous le regardions tous, béats. Mais son opaline Chrystal, à qui il abandonne le bras, souffrira-t-elle de son départ inopiné?
Non, car heureusement, il y a Eléonore la discrète, dans sa robe couleur de feu. Désinvolte dans son rôle, elle ferme notre scène avec toute la joliesse qui est la sienne.
Je me souviens aussi d'Etienne, au noble porté de tête. Tout de nuit vêtu, son vêtement qu'ajoure sa chair couleur de lune lui donne un aspect éthéré. Il porte une dague ceinte à sa taille. Mais qui pourrait lui vouloir du mal?
La suave Zelda, dans sa robe de soie violine doublée de parme, jouait la femme légère. Attention, ne vous y trompez pas! Première assistante avant tout, elle bridait avec une fermeté de Spartiate toute notre petite troupe. Une Spartiate qui connaît bien le metteur en scène, qui sait parfaitement comment il fonctionne, qui prévoit ses réactions, les devance, nous protège aussi, de la terrible Colère dont on entend parler, et qui peut éclater n'importe quand, peut-être.

Que dire de moi? Bien plus actrice dans la vie que sur scène, je suis une sorte de Belphégor drapé de noir. Je multiplie les faux-pas, je m'embourbe dans les plis moirés de mon habit. Hélas, à force, je perds ma patience et ma bonne humeur.

Et puis il y a Charles, le maître, le père de toute cette folle aventure. C'est lui qui mène la danse. Charles qui est mon ami, est méconnaissable lorsqu'il travaille. Rigoureux et exigeant. Il est celui d'où la magie fait irruption. Les idées affluent chez lui avec le brio de celui qui est touché par la grâce.
Ce fut un dimanche pas comme les autres vous dis-je. Je ne sais plus si tout cela a vraiment existé ou bien si tout est né des arcanes de mon esprit délirant. Que Dieu ne tarde pas à me venir en aide dans un cas comme dans l'autre…
Victoria Cohen.

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