la Compagnie

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Tuesday, June 4, 2013

Du Marathon.

Tandis que, dans les derniers moments qui me séparent d'une présentation des Confessions de Saint Augustin — la prochaine pour le Mois Molière de Versailles, dans une chouille moins que deux semaines —, je m'isole, tel un ascète méditant, pour me centrer davantage tant sur moi que sur le texte et tout ce qu'il implique que sur le monde qui m'entoure, afin de retrouver cette réflexion sur lui-même à laquelle se livre Saint Augustin, que je m'impose un rythme de filages effréné, on me demande souvent si c'est bien nécessaire, si je ne suis pas trop dur avec moi-même, et l'on me conseille de sortir un peu de ma bulle, de m'aérer, pour me ménager.
Mais non! car se préparer pour monter sur scène et donner ces mots si précieux à entendre, c'est un peu se préparer pour un marathon, auquel on ne peut survivre qu'après un long entraînement de fond.
Bien entendu, parce que c'est une certaine épreuve physique, que de rester plus d'une heure et quart à déclamer un texte par cœur en le gestualisant, sans pratiquement changer de pied d'équilibre de tout ce temps, et qu'il faut tenir tout du long — et j'intensifie naturellement mes exercices corporels et vocaux habituels —, mais ce n'est pas le plus important, évidemment.
Evidemment, et c'est un autre détail, qui arrive au tout début, sans lequel je ne peux pas travailler, il s'agit d'avoir tous les mots bien en bouche, d'en être certain, de ne pas hésiter sur la moindre sonorité, et de même sur chacun des gestes, répétés devant un miroir.
Deux choses dont on ne peut être assuré qu'en les répétant inlassablement, techniquement, en filages aussi, of course.
Répéter inlassablement, faire des filages tous les jours, sans se laisser dépasser s'il y en a parfois qui sont moins bons que celui de la veille, ne serait-ce pour qu'enfin le texte, la gestuelle, me soient tellement entrés dans le corps, que la technique ne soit plus un obstacle, et qu'en la délaissant parce que faisant partie même, sans qu'on n'y pense plus, de la chose, on la dépasse, pour se laisser toucher et porter sans frein par le texte, qui me doit traverser et me transcender.
Car une technique incertaine retient et empêche d'accéder à ce que l'on cherche à atteindre, comme les iniquités passées retiennent Augustin dans sa conversion, ou comme la lettre retient l'esprit pour Saint Paul. 
Mais le plus essentiel c'est justement ce retour sur soi, ce regard intérieur, qu'une vie active ne permet pas forcément. De se confronter sciemment à soi-même, pour pouvoir mieux traduire ces mots, les rendre avec toute leur force infinie. D'entrer donc en moi-même, comme dit Augustin, pour mieux se laisser toucher, en sachant d'où cela peut venir aussi.
Il ne s'agit pas d'interpréter au sens moderne du terme la prose d'Augustin  bien sûr — c'est de la déclamation baroque! — mais de les sentir, en tâchant peut-être de percevoir d'où Augustin les sortaient.
Bien entendu, un certain nombre de filages ne suffisent pas non plus à remplir une journée, et s'il suffisait de vivre reclus pour pouvoir ensuite monter sur scène, ça se saurait!
Donc, le reste de mon temps tourne autour d'Augustin également.
La petite bibliothèque de Port-Royal de la Compagnie a la chance de posséder quelques-uns de ses autres livres (naturellement traduits au dix-septième par l'un ou l'autre des Arnauld), mais aussi la Bible traduite par Lemaître de Sacy (forcément, puisqu'on en a fait deux lectures dans le même cycle), où je m'immerge dans les Epitres de Saint Paul, si chers à Augustin, et je lis, je m'y plonge, replonge — pas jusqu'à l'écœurement, au contraire mais pour tâcher d'y trouver quelque chose, une lumière, qui me permettra de sentir mieux encore ces mots que j'aime à traduire.
Charles.
(oui, nous savons pouvoir être fiers, à la Compagnie, de notre merveilleuse illustration.)

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