la Compagnie

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Wednesday, September 26, 2012

De l'équilibre.

L'équilibre, dans le baroque, c'est essentiel. Enfin, un équilibre oxymorique, bien sûr.
Tout d'abord, parce que le baroque, c'est un perpetuel équilibre de deux contraires qui s'opposent, et sans lesquels le monde serait mort.
D'où la dissymétrie permanente de l'art baroque (les seuls occurences d'un corps symétrique étant la représentation du Christ mort).
Le baroque, c’est une obscure clarté pour nos regards modernes, c’est un oxymore permanent: c’est rendre visible ce qui est caché.
Et la déclamation baroque, c'est forcément un équilibre aussi. Un équilibre entre la pensée rhétorique, qui doit produire rationnellement un discours qui doit émouvoir et toucher le cœur de l'auditeur.
C'est un équilibre dans la prosodie, dans la musicalité, dans les accentuations.
C'est un équilibre dans la gestuelle.
Et c'est aussi un équilibre entre le phrasé et la gestuelle.

Il faut donc que le déclamateur soit sacrément en équilibre pour pouvoir s'y adonner, avec tous ses éléments essentiels. En équilibre, bien planté dans le sol, l'énergie des deux contraires essentiels à rendre la parole vivante et à traduire le Verbe le traversant des pieds à la tête.


Manque de bol, difficile, cet équilibre, quand on est chaussé de façon déséquilibrée. Car si, lorsque je répète ma lecture des Confessions de Saint Augustin, mon pied gauche est chaussé de sa chaussure à déclamation (oui, oui, nous avons ça!), le droit, lui, fait ce qu'il peut. Autrement dit, pour sa convalescence, et pour qu'il soit tout à fait remis avant le 21 octobre, et la première des Lectures saintes, il est enfermé dans une chaussure superatomique qui le maintient, ainsi que sa cheville, dans un carcan immobile, posé sur une énorme semelle (qui me permet toutefois de poser sans dommages le pied par terre, rendons-lui bien cela), qui est plus épaisse de plusieurs bons centimètres que toute forme de chaussure civilisée. Et qui, de surcroît, est légèrement courbe, pour épouser le sol lorsque l'on tente de marcher avec (en claudiquant).
Bref, autrement dit, pas facile de travailler ces jours-ci, maintenant que ma partition déclamatoire est en place, que je pense avoir trouvé les nuances sur le textes, les rythmes, les éclats de voix, les suspens, et que ma gestuelle est fixée, apprise — autrement dit, maintenant qu'il convient d'assembler ces deux éléments équilibrant la déclamation baroque, hé bien, moi, je n'ai plus l'équilibre qui me permet de le faire!
Alors, certes, je suis un bel équilibre déséquilibré. Un oxymore baroque à moi tout seul. Mais ce n'est pas terrible. Trop lourd à porter, sans doute, une telle charge!

Mais que l'on ne s'inquiète pas, je ruse déjà: je mets des cales de porte sous mon pied défaillant, je surélève l'autre, et on ne pourra pas dire qu'une bête métatarse aura été plus fort que moi, que la Compagnie Oghma, qu'Arnaud d'Andilly, que la déclamation baroque et que Saint Augustin réunis!
Charles.

Monday, September 17, 2012

De pedis amputatio.


Un pas de basque un peu trop jeté;
Une mauvaise réception,
Crack!:
en l'espace d'un quart de seconde, me voilà avec une entorse de la cheville droite, et surtout le cinquième métatarse cassé.
Je propose aux médecins une bonne vieille amputation, et le remplacement du pied par une des dernières inventions formidables du docteur A. Paré, qu'on en finisse, ça ira bien plus vite, et la récupération se fera en un clin d'œil. 
Me voilà bien déçu lorsqu'on me place simplement un bandage autour du pied (m'enjoignant tout de même à me procurer une botte superatomique pour le maintenir en place), et me déconseille de poser le pied par terre.
Pendant trente jours. 
Soit presque tout le temps qui me sépare de la première des Lectures saintes.

Conclusion: si je devrais être tout à fait rétabli pour ma lectures des Confessions de Saint Augustin, à Sainte-Clotilde, le 21 octobre (à 15h, au 29, rue Las-Cases, dans le 7e arrondissement parisien, évidemment), en attendant, pour travailler comme il se doit, je dois ruser avec mon propre corps pour trouver l'appui dans le sol nécessaire à la déclamation baroque (oui, puisqu'il s'agit de la traduction de Robert Arnaud d'Andilly, de 1649). 
Pour finir de mettre en place ma gestuelle, pas de problème: je me mets à genoux sur une chaise haute, rendue confortable par un bon coussin bien molletoné, face à mon pupitre et mon miroir, mais pour déclamer et trouver l'énergie nécessaire à véhiculer verbalement ce texte si riche et dense, c'est bien moins pratique. 
Alors j'essaie des trucs, je garde mon pied infirme en l'air, prenant équilibre sur une béquille, puis, tente la même chose, avec mon talon planté dans le sol (j'ai le droit!), ne suis pas convaincu, réssaie à nouveau autre chose, pour me rendre tout de même capable de répéter, et ne pas prendre du retard sur le planning déjà très strict que je m'imposais avant l'accident. J'essaie assis aussi, pour répéter le texte comme on reverrait une partition musicale, pour en mémoriser les lignes, les tenues, le phrasé, sans trop pousser sa traduction. 
Mais que l'on ne s'inquiète pas: tout ira bien, et cette déclamation des Confessions devrait malgré tout parvenir, malgré les aléas de ses répétitions, aux hauts objectifs que je promets: de faire ré-entendre ce texte à travers le véhicule de la déclamation baroque, dans toute sa force et sa spiritualité.
Charles.

Friday, September 7, 2012

Champagne!

Si naturellement nombreux sont les peintres qui me fascinent, aucun, sinon peut-être Simon Vouet, ne me touche autant que Philippe de Champagne — à tel point qu'il peut m'arriver de passer au Louvre simplement pour saluer Catherine Arnauld, m'extasier devant ses deux Cènes, me dolir devant la Vierge de douleur, et être tétanisé devant le Christ mort couché sur son linceuil.
C'est, si je puis dire, un peu mon peintre de chevet, auquel je ne puis m'empêcher d'emprunter des images — je l'ai fait pour la scène finale (entre autres) de Phèdre & Hippolyte, pour l'affiche de ma lecture de la Passion du Christ qui aura lieu en mars — et dont je m'inspire sans cesse, comme pour celle des Confessions de Saint Augustin (qui sera bientôt dévoilée en intégralité sur notre Facebook) — car même s'il n'a jamais peint cet épisode de la conversion du saint, la pose de notre poster boy Adrien Morin lui est infiniment redevable — sans parler de ma gestuelle pour les imminentes Lectures Saintes: posé sur une table à côté de mon pupitre déclamatoire, une monographie du peintre, toujours ouverte, dans laquelle je me plonge dès que j'hésite sur un geste, où ne trouve pas tout de suite comment signifier une idée parfois trop abstraite. Et toujours, me parvient la réponse, presqu'immédiatement, dans une de ses toiles aux mains si grâciles, aux visages si beaux dans leur fragilité.
Et pour cause: notre cycle reprend les traductions port-royalistes d'Arnaud d'Andilly et de Lemaître de Sacy — il me semble donc évident que le peintre de Port-Royal soit le seul à pouvoir apporter des solutions à ces énigmes! — là où Poussin, ou même Vouet seraient trop extérieurs, presque spectaculaires, et pourraient m'aider pour gestualiser des textes théâtraux ou narratifs, comme ceux de L'Odyssée, Champagne apporte cette subtilité intérieure du geste, pas avec un mysticisme renfermé, mais avec une précision fervente, qui correspond à ce que j'imagine d'une oraison de Saint-Cyran, ou d'un Solitaire en prière.
Définir plus précisemment pourquoi Champagne me touche tant serait y réfléchir, et donc rendre cette sensation formidable (à tel point que, quand j'ai trouvé le geste que j'y cherchai, je continue parfois à parcourir ma monographie, sans cesse surpris, souvent ému aux larmes en retombant sur un tableau que je contemple au lieu de retourner au travail) par trop intellectuelle pour qu'elle ait encore cette puissance exceptionnelle. Je ne préfère donc pas, pour y puiser toujours plus de forces pour tâcher de véhiculer au mieux celles des textes de Saint Augustin que je travaille en ce moment.
Charles.