la Compagnie

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Sunday, April 10, 2011

Monter Lord Arthur.


Passer des heures dans une salle noire, tandis que le soleil irradie les rues parisiennes, devant des écrans qui diffusent en boucle les mêmes images, que l'on revoit sans cesse de différentes versions d'un même plan de quelques secondes — prise une, deux, quinze, vingt-six — peut sembler un activité fort incongrue.
Certes.
J'avais moi-même jusqu'à présent toujours considéré le montage comme une étape longue, pénible et douloureuse malgré sa nécessité, dans la création d'un film. Monter Les Anges distraits par exemple, avait été un calvaire, malgré l'exaltation que cela avait procuré.
Mais pour Lord Arthur Savile's Crime, le monteur fait son apparition dans le corps des métiers de la Compagnie. Et tout change.
D'avoir à ses côtés quelqu'un pour nous épauler, nous encadrer — nous mener même, car dans la salle de montage, même si le réalisateur prend les décisions les plus cruciales, qu'il décide des prises à utiliser, le monteur mène la barque, sait où il va, connaît ses machines, et ne tergiverse pas.
Rentrer les chutes dans les ordinateurs, attendre devant les machines ne devient plus une épreuve insurmontable car Quentin est là, à mes côtés, avec son œil vierge sur les images (que fatalement, après six mois de tournage je ne puis plus avoir), avec son regard perçant qui identifie tout de suite un petit problème technique sur une prise que j'aurais peut-être choisie pour un regard de Thomas, un mouvement de main de Christine.
Et avant de les revoir plusieurs fois pour choisir définitivement la prise que nous garderons dans le film, nous débattons déjà sur ce qui devra rester sur le sol de la salle, sur ce qui devra être fait — les raccords nous pourrons aménager, le rythme qui devra être donné à tel ou tel moment d'une séquence.
Non seulement c'est un gain de temps, mais aussi nos deux énergies, et nos deux regards sur une même chose se complétant, le film y gagne terriblement.
Nous montons tranquillement, au même rythme que sur le tournage d'une séquence par jour, dans les locaux déserts et calmes, aux horaires où nous y sommes, de Centreville Télévision, avec tout leur matériel pointu, et dont je ne sais pas me servir de plus de la moitié.
Les scopes vrombrissent, les écrans (quatre!) s'illument, Quentin tapote sur son clavier bigarré, et, progressivement, sans que je ne m'en rende trop compte, la séquence onze — la plus difficile sans doute tant à filmer, avec ses onze plans compliqués par ma présence devant la caméra, qu'à élaguer, avec ses plus de deux heures et demie de chutes (car, en plus de la photographie principale de la séquence, nous dûmes faire des retakes de quelques plans dont j'étais mal satisfait), que j'avais déjà raccourcies à une heure trente auparavant; celle qui enfin me donnait le plus d'angoisses car c'est une des plus importantes du film, et quoi qu'elle fût toujours claire dans ma tête, je me demandais si elle allait apparaître aussi intense que je l'espérai — se construit, se met en place, ressemble à quelque chose.
A la fin de la journée, la séquence est montée (pas forcément définitivement, car peut-être des retouches s'imposeront-elles quand nous aurons la totalité du puzzle assemblé devant nous), et nous pouvons la regarder, la découvrir finalement — car après des heures passées à joindre les différents plans, à les raccorder avec fluidité, fluidité qui se joue à un vingt-cinquième de seconde près, nous ne voyons plus que des détails.
Sans le son (puisque, rappelons-le, le film est muet), c'est vrai, même si satisfaits parce que tout coule avec fluidité, il nous est tout de même difficile de bien se rendre compte de la tension dramatique de la séquence, à laquelle son montage participe fatalement.
Alors, petite gâterie finale, nous lançons à plein tubes le mouvement d'une symphonie de Mahler approprié, et je ne peux me retenir de crier ma joie, ma surprise! Comme par miracle, grâce à l'agilité de Quentin magnifiée par les cuivres dirigés par Bernstein, tout prend une nouvelle dimension, une forme — et la bonne.
Thomas — ou plutôt non, justement, pas Thomas mais Lord Arthur Savile lui-même, se met soudain à vivre. Et ce qui n'était jusque là qu'une suite ininterrompue et répétitive de balbutiements devient vrai, une réalité pas seulement présente dans mon esprit.

Charles.

1 comment:

  1. Trop classe le Quentin en plein montage :-)
    Stef

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