la Compagnie

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Wednesday, April 13, 2011

Un éclair luit, un homme fuit, la mort suit. Meutre infâme d'une femme qui rend l'âme.


20h. La nuit s’attarde quelques instants avant de commencer à lentement tomber tandis que la plupart des parisiens soupent.
Déambulant à l’aventure dans cette soirée fraîche mais encore radieuse, me voilà dans une petite ruelle sombre, à l’abri des regards, ombragée d’arbres verdâtres et poussiereux, noyée dans une fine couche d’un brouillard hésitant.
Deux figures sombres s’embrassent tout à coup langoureusement devant moi, loin des passants. Et quelle étreinte! C’en était presque gênant, oppressant…
Etais-je à Paris, non loin de la rassurante maison de Balzac, ou bien m’étais-je tout à coup transportée dans les inquiétantes serpentes londonnienes?
J’avançai toujours quand, brusquement, l’étreinte se brise.
L’homme s’écarte.
Un éclair de lumière glacée.
Avant qu’il ne soit possible de se rendre compte de ce qui se passe, le bras de l’homme vole dans les airs, qu’il fend d’un sifflement aigu.
La femme tombe, agitée de spasmes, tandis que l’homme, reprenant sa canne s’en va tranquillement au loin.
Le sang coule à gros bouillons. La femme, terrassée, ne bouge plus, les pupilles dilatées.
Coupez! Elle est bonne, on la refait!
Ouf! Charles vole à notre secours, met fin à ce cauchemar.
Mélusine se relève, radieuse, souriante, s’essuie les yeux.
Kenji Isidor, à peine moins inquiétant dans la vie que l’instant précédent, s’inquiète de ses coups de couteau, de leur réalisme.
Tout va bien, nous ne sommes que sur le tournage d’une des scènes les plus glauques du prologue de Lord Arthur Savile’s Crime, et Jack l’éventreur, et les crimes sordides de Whitechapel ne sont qu’une réalité lointaine ravivée brusquement quelques instants.
Charles donne quelques nouvelles consignes à ses acteurs, pousse Kenji, tremblant de blesser Mélusine — comme il a failli le faire en répétition quelques heures auparavant me dit-on — à plus de violence, tout en poussant le couple à plus de sensualité encore, dans la première moitié de la scène.
Il faut vraiment qu’on croie que la scène va nous montrer un couple en train de forniquer dans la rue, qu’on soit gêné, qu’on puisse se dire "Oh, mais qu’est-ce qu’on va nous montrer, c’est obscène!", pour que la surprise du premier coup de poignard soit immense. Et la violence doit être à la hauteur de la surprise.
Zelda, première assistante veillant à tout, attentive à la moindre indication de Charles, vole, retient tout. Elle court raviver l’encens qui inonde la rue d’une fumée irréelle, fait boire à Mélusine quelques gorgées de ce sang qu’elle recrache dans ses derniers soubressauts, recolle un des favoris postiches de Kenji.
Charles reprend la caméra en main. Zelda attrappe ses hanches pour guider ses pas tandis qu’il se penche dans l’objectif, et je saisis le bout du pied, garantissant la stabilité du lent travelling avant qui va s’opérer dans la ruelle.
La caméra tourne, le couple s’embrasse.
Charles murmure quelques indications aux acteurs à mesure que l’on s’approche, tout en gardant un souffle profond et calme pour assurer la fluidité du mouvement de caméra. Zelda relaie, pousse avec une tonitruance presque grivoise les indications.
Meurtre! Oui, c’est bien. Va-t-en Kenji, maintenant. On descend, on descend sur Mélusine.
Et nous suivons, et le ballet s’orchestre, effroyable, vivant, terrifiant.
Enfin, c’est bon, c’est dans la boîte — c’était vraiment la dernière annoncée quelques dizaines de prises auparavant.
Mélusine peut se couvrir d’un manteau pour se réchauffer, trempée qu’elle est de sang, de boue. Kenji redevient l’adolescent calme et attentif, malgré ses yeux un peu tourmentés. Les acteurs peuvent se démaquiller, se rincer, se changer, et les choses devenir rassurantes à nouveau.
Mais, malgré l’horreur de cette séquence, malgré le réalisme effarant des coups de couteau, du maquillage défigurant Mélusine, une des deux grâcieuses violistes de l'Ebo, les bouteilles de sang maintenant vides qui s’empilent derrière la caméra, c’est l’une des séances de tournage les plus amusantes auxquelles j’ai assisté. Là est tout le paradoxe de l’humain semble-t-il; on se dira toujours animé par notre instinct de survie, mais on aime se toujours se confronter au crime!
Annabelle.

Sunday, April 10, 2011

Monter Lord Arthur.


Passer des heures dans une salle noire, tandis que le soleil irradie les rues parisiennes, devant des écrans qui diffusent en boucle les mêmes images, que l'on revoit sans cesse de différentes versions d'un même plan de quelques secondes — prise une, deux, quinze, vingt-six — peut sembler un activité fort incongrue.
Certes.
J'avais moi-même jusqu'à présent toujours considéré le montage comme une étape longue, pénible et douloureuse malgré sa nécessité, dans la création d'un film. Monter Les Anges distraits par exemple, avait été un calvaire, malgré l'exaltation que cela avait procuré.
Mais pour Lord Arthur Savile's Crime, le monteur fait son apparition dans le corps des métiers de la Compagnie. Et tout change.
D'avoir à ses côtés quelqu'un pour nous épauler, nous encadrer — nous mener même, car dans la salle de montage, même si le réalisateur prend les décisions les plus cruciales, qu'il décide des prises à utiliser, le monteur mène la barque, sait où il va, connaît ses machines, et ne tergiverse pas.
Rentrer les chutes dans les ordinateurs, attendre devant les machines ne devient plus une épreuve insurmontable car Quentin est là, à mes côtés, avec son œil vierge sur les images (que fatalement, après six mois de tournage je ne puis plus avoir), avec son regard perçant qui identifie tout de suite un petit problème technique sur une prise que j'aurais peut-être choisie pour un regard de Thomas, un mouvement de main de Christine.
Et avant de les revoir plusieurs fois pour choisir définitivement la prise que nous garderons dans le film, nous débattons déjà sur ce qui devra rester sur le sol de la salle, sur ce qui devra être fait — les raccords nous pourrons aménager, le rythme qui devra être donné à tel ou tel moment d'une séquence.
Non seulement c'est un gain de temps, mais aussi nos deux énergies, et nos deux regards sur une même chose se complétant, le film y gagne terriblement.
Nous montons tranquillement, au même rythme que sur le tournage d'une séquence par jour, dans les locaux déserts et calmes, aux horaires où nous y sommes, de Centreville Télévision, avec tout leur matériel pointu, et dont je ne sais pas me servir de plus de la moitié.
Les scopes vrombrissent, les écrans (quatre!) s'illument, Quentin tapote sur son clavier bigarré, et, progressivement, sans que je ne m'en rende trop compte, la séquence onze — la plus difficile sans doute tant à filmer, avec ses onze plans compliqués par ma présence devant la caméra, qu'à élaguer, avec ses plus de deux heures et demie de chutes (car, en plus de la photographie principale de la séquence, nous dûmes faire des retakes de quelques plans dont j'étais mal satisfait), que j'avais déjà raccourcies à une heure trente auparavant; celle qui enfin me donnait le plus d'angoisses car c'est une des plus importantes du film, et quoi qu'elle fût toujours claire dans ma tête, je me demandais si elle allait apparaître aussi intense que je l'espérai — se construit, se met en place, ressemble à quelque chose.
A la fin de la journée, la séquence est montée (pas forcément définitivement, car peut-être des retouches s'imposeront-elles quand nous aurons la totalité du puzzle assemblé devant nous), et nous pouvons la regarder, la découvrir finalement — car après des heures passées à joindre les différents plans, à les raccorder avec fluidité, fluidité qui se joue à un vingt-cinquième de seconde près, nous ne voyons plus que des détails.
Sans le son (puisque, rappelons-le, le film est muet), c'est vrai, même si satisfaits parce que tout coule avec fluidité, il nous est tout de même difficile de bien se rendre compte de la tension dramatique de la séquence, à laquelle son montage participe fatalement.
Alors, petite gâterie finale, nous lançons à plein tubes le mouvement d'une symphonie de Mahler approprié, et je ne peux me retenir de crier ma joie, ma surprise! Comme par miracle, grâce à l'agilité de Quentin magnifiée par les cuivres dirigés par Bernstein, tout prend une nouvelle dimension, une forme — et la bonne.
Thomas — ou plutôt non, justement, pas Thomas mais Lord Arthur Savile lui-même, se met soudain à vivre. Et ce qui n'était jusque là qu'une suite ininterrompue et répétitive de balbutiements devient vrai, une réalité pas seulement présente dans mon esprit.

Charles.

Thursday, April 7, 2011

Les Avantures d'Oghma.

8h, mercredi matin.
Tarbes, préfécture des Hautes-Pyrénées, deux chocolatiers, et un glacier meilleurs ouvriers de France.
Les yeux mi-clos, tant parce que sortant à peine d'une nuit dans le train dont je descends, que du soleil déjà éclatant qui illumine les montagnes qui se profilent au bout du cours, je découvre hébété la cité qui hébergera les deux dernières représentations de la Compagnie de la saison.
Nicolas Andlauer, le claveciniste invité pour nos Avantures d'Ulisse, et le chef du projet, sur le pied de guerre, m'accueille, et m'accompagne au bar-hôtel de l'Avenue (douches et WC sur le palier, CanalSat dans les chambres) poser mon lourd sac (il me semble toujours impossible, même en tournée de voyager léger).
Un petit café au Moderne, un croissant, et c'est parti pour le Conservatoire où auront lieu les hostilités. Les hostilités entre le temps et nous — car lorsqu'on part en tournée, on sait qu'on n'aura pas une seconde.
Nous jouons dès le soir même, et il faut naturellement tout mettre en place: les lumières, tâter l'accoustique de la salle, faire un petit filage histoire de se remettre le spectacle, le texte et sa musique dans les pattes et dans la bouche — sans parler de nos échauffements et accordages respectifs. Je ne concurrence que difficilement avec Nicolas et ses cordes innombrables (car il joue sur un beau clavecin français à deux jeux et deux claviers), Slim et les vingt-cinq siennes, car je n'ai que mes deux cordes vocales à réveiller, mais les premiers crissements qu'elles produisent à une heure si matinale, et après le nombre incalculables de cigarettes consommées depuis ma descente du train (car en tournée, même si le temps nous manque, on fume beaucoup), ne sont guère rassurants.


Je crois même que je ne serai jamais prêt à temps, que j'aurais une voix rocailleuse toute la journée, et que jamais je ne pourrai monter dans les aigus de ma voix de tête pourtant indispensables à certains éléments du récit.
Bref.
Une tournée, quoi qu'il arrive, c'est toujours exaltant.
On n'a pas le temps de réfléchir, on passe ses journées dans des salles de spectacle vides et noires, on s'installe presque tranquillement, répète d'abord un peu posément.
Puis les choses s'accélèrent, on angoisse, l'heure tourne, on pense que jamais rien ne sera prêt à temps, on s'énerve un peu, on se dit qu'on ne connaitra personne dans la salle,



on répète encore,
se demande combien de personnes y seront, qui ils seront, comment ils pourront diantre accueillir un spectacle pareil, si c'était après tout une bonne idée de venir jusque-là pour jouer, on revoit encore des détails du spectacle, on se dit qu'on ne pourra pas jouer finalement, qu'on démissionne, le stresse monte, l'angoisse aussi, l'heure arrive, on va se préparer, on vérifie sa voix, ses instruments, fume les dernières cigarettes en cachette tandis qu'on sent le public se presser devant la salle, vérifie encore sa voix, son costume, sa voix.
Puis la lumière s'éteint et c'est le moment de rentrer en scène.
Le public est là — ne sachant, comme nous, qu'à moitié ce à quoi s'attendre. Moment supsendu où, comme le dompteur avant son numéro, regarde en chien de faïence son fauve qui l'observe de même, chacun se dévisage, scène, salle.
Et puis, bien sûr, tout se passe bien.
Le spectacle commence, roule, monte, fluctue, varie, et scène, salle, chacun s'est apprivoisé, s'écoute et enfle ensemble.
Noir, fin, applaudissiments.
On respire enfin.
Ou presque: le lendemain, scolaire, à dix heures et demie.
"Maudite soit la personne qui invente des horaires pareils", me dis-je en m'endormant, à moitié tôt, après quelques bières enquillées en vitesse, mon paquet de demi de cigarettes de la journée terminé.
Lever tôt, beaucoup trop. Fatigue de la veille, angoisse de jouer devant des enfants tout petits, et devant des lycéens un peu moins. Les deux regards les plus critiques et les plus sévères. Les plus francs aussi. C'est un public qui ne laisse rien passer. Nous avons mettons, une minute trente pour les happer ou les perdre à jamais.
Nous arrivons au Conservatoire, il est 9h, ma voix est dans mes chaussettes (ou plutôt dans celles de la veille, laissées à l'hôtel), et nous n'avons pas encore arrêté définitivement les coupes que nous ferons car la version doit être plus courte pour permettre une discussion avec le public après le spectacle.
Nous nous accordons vite là-dessus, et on répète avec. Il est l'heure déjà.
Mais même si ce sont les représentations les plus terrifiantes, les scolaires sont toujours les plus enrichissantes.
Quand, malgré le choc que peut produire de prime abord la déclamation baroque, on n'entend la salle ne pas broncher du début à la fin, quand l'écoute est dense, que l'on sent les tout-petits vivre à travers notre récit les aventures du prudent Ulysse, que l'on sent les adolescents, sous leurs airs bravardement distants, nous écouter comme s'ils étaient brusquement redevenus les enfants qu'ils affirment publiquement ne pas être — avec ce même regard troublant et ambigu que le Saint Jean de la Crucifixion de Simon Vouet exposée au Musée des Beaux-Arts à Lyon — on se sent heureux, et on sait que pendant quarante minutes dans sa vie, on aura été juste sur scène.
Puis, suivent généralement un échange avec la salle; un échange toujours fascinant. Car parfois les questions nous déstabilisent, nous déroutent, par leur force un peu brutale, et nous acculent dans des retranchements de notre réflexion que nous n'avions pas forcément exploré. Et on en ressort forcément grandi.
Jeudi soir, minuit, Paris à nouveau.
Sur les rotules. Au lit.
Epuisé, vidé, sans la moindre parcelle de force, à peine plus de voix, mais heureux. Heureux de l'avoir fait, et heureux d'avoir une aussi bonne raison d'être aussi fatigué.
Charles.