la Compagnie

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Monday, May 27, 2013

Non, le Baroque c'est pas pour les Schnocks!

Faisons une expérience:
Prenons un enfant d'une dizaine d'années au plus (ça commence mal cette affaire, direz-vous. Rassurez-vous et attendez la suite), d'une intelligence tout à fait normale, et d'une sensibilité heureuse.
Pour corser l'exercice, faisons en sorte que, bien que familier avec les sonorités de la langue, il ne parle ni ne comprenne le français.
Asseyons-le maintenant sur une chaise, devant un grand chandelier incandescent, inaverti de ce qui l'attend sinon qu'il va voir un spectacle.
Par mesure de précaution, dans une époque où l'ennui, parfois générateur de turbulences enfantines, est facilement congédiable, donnons-lui tout de même un téléphone portatif, chargé de quelques jeux serpentins ou de bulles.
Les éléments mis en place, l'expérience en elle-même peut maintenant commencer, de même que le spectacle.
Infligeons donc à ce petit enfant qui n'a rien demandé ce que d'aucuns pourraient regarder comme la pire des épreuves: un spectacle de déclamation baroque (oui c'est évidemment là où je voulais en venir).
Mettons nos Avantures d'Ulisse, ou bien plutôt, carrément les Confessions de Saint Augustin — n'ayons pas peur d'essayer avec le spectacle le plus extrême de la Compagnie: un peu plus d'une heure de moi tout seul sur scène (ou plutôt en chaire) et en déclamation baroque.
Que se passe-t'il? 
Il s'agite, s'embête, souffre, me dira-t'on. Et ses parents sont totalement indignes, méritant les pires des châtiments.
Je l'aurais pensé moi-même si je n'avais pas réellement fait cette expérience-là plusieurs fois, avec des enfants français ou non — et bien entendu, je n'en parlerais pas ici si j'étais arrivé à cette conclusion.
Car, et contre toute attente peut-être, quoi que finalement ça ne fasse que confirmer ce que j'ai toujours pensé (ce grand paradoxe oxymorique que la déclamation baroque ne touche pas uniquement parce que l'on comprend intellectuellement ce qui est dit — alors que tout vient pourtant de ce qui est dit — mais qu'elle touche avant tout sensuellement, au même titre que de la musique, sans que les mots ne soient forcément l'élément le plus important de l'écoute) — l'enfant écoute.
Là où l'adulte, qui parfois ne parvient pas à se défaire de ses carcans intellectuels, justement, l'enfant se laisse tout de suite happer, emporter, fasciner. 
Il n'a pas la clé des codes que l'adulte peut parfois bêtement regretter ne pas avoir, mais il s'en fiche, il les dépasse, et se laisse véritablement émouvoir.
Il ne daigne pas même jeter un regard vers ce portatif qui lui a été remis, il l'oublie, il s'oublie lui-même dans son écoute. 
Et à la fin, quand, surpris, les regards se tournent vers lui, presqu'inquiets, il sourit.
Et il dit ce qui lui a plu, ce qui l'a touché. Et plus fort encore, il est capable, en quelques mots, d'évoquer quelques uns des enjeux du texte, de ce texte qu'il n'a pas compris, puisqu'il ne parle pas français.
Et ça, c'est sans doute la plus belle des louanges que l'on puisse recevoir.

Donc il n'y a bien que les vieux schocks qui pensent que le baroque c'est pour les vieux schnocks!
Charles.

Monday, May 13, 2013

Des beaux restes.


Les Confessions de Saint Augustin, dans la traduction d'Arnauld d'Andilly, que je présente dans notre cycle des Lectures saintes, c'est naturellement des heures de travail, et je ne compte pas le temps passé entre août et novembre, tant à potasser mon édition de 1773 (je n'ai pu hélas encore mettre les mains sur l'édition originale de 1649), que surtout les sélections que j'en ai tirées.
Mais depuis novembre, je n'y ai plus touché — d'autres projets m'ont accaparé, et puis ce n'était pas tout à fait nécessaire encore.
Je craignais donc, m'y remettant maintenant pour préparer la représentation du Mois Molière à Versailles, le 17 juin prochain, qu'il n'en restât pas gran'chose — que le texte allait m'échapper, que je ne l'aurais plus en bouche, et qu'il me faudrait déchiffrer tout à nouveau comme si c'était la première fois — forêt trop longtemps laissée à l'abandon qu'il faudrait défricher sauvagement pour la pouvoir traverser à nouveau.
Cependant, et c'est en réalité une impression sans cesse ressentie lorsqu'on œuvre à une reprise, mais qui ne laisse pas de surprendre à nouveau à chaque fois, hé bien, sans vouloir me flatter d'aucune sorte, il y a de beaux restes.
Je n'irais pas jusqu'à dire que le texte est encore su par cœur, que la gestuelle revient toute seule (je n'en suis pas de toute façon à me la remettre tout à fait encore, elle interviendra un peu plus tard dans le processus), mais je découvre avec émerveillement combien, sans que j'y touche, ni y repense formellement, mon travail précédent est resté, et surtout même, a grandi pendant cette latence — car si l'émotion a encore du progrès à faire pour être au moins égale à celle des premières représentations, si parfois je me laisse encore entraîner par le rythme et la musique des mots, sans leur accorder la force qu'ils méritent et doivent avoir, je suis le premier surpris de voir que le phrasé est plus fluide, plus doux, les phrases plus tenues jusqu'à leur dernière extrémité, que, finalement, la rhétorique si forte d'Augustin, et qui m'a toujours tant impressionné et bouleversé en ressort mieux encore.
Car, malgré moi — sans doute nourri de mes autres lectures (je me suis remis à celle de la Bible par exemble, et d'autres ouvrages d'Augustin, tout au long de la saison, pour saisir mieux les enjeux des différents textes du cycle des Lectures saintes, leur contexte, la force qu'en retiraient les Port-Royalistes), et de mes autres travaux, acquérant une aisance sans cesse plus grande dans l'exercice périlleux de la déclamation baroque tandis que les différentes lectures s'enchaînaient, aisance naturellement remise en question à chaque nouveau texte, à chaque nouveau travail, comme celui sur Elizabeth première, passé au crible de ladite déclamation, mais, aussi à celui de la langue anglaise, et de sa prononciation de l'époque — la chose a évolué, grandi — je me surprends même parfois à refaire la gestuelle que j'avais fixée qui devient par à-coups nécessaire, sans que j'y pense, ni tente de la reproduire — et cela me laisse plein d'heureuses attentes pour la suite du travail.
Charles.