Thibault Delaire doit poser pour Charles, et être le poster boy du récit de la Passion, dans le cycle de Lectures saintes qu'il va donner la saison prochaine. Il sera le Christ, dans une photo inspirée du Christ mort couché sur son linceuil, de Philippe de Champagne.
Je l'accompagne. Ce sera ma première experience d'assistante photo.
On arrive en retard: 18h. On a fait la fête la
veille et Thibault pense que Charles va lui faire une remarque. T’as pas
trop une sale tête franchement, je le rassure sans lui lancer de
fleurs: il est magnifique ce matin-là, avec sa barbe de
plusieurs jours, parfait pour le personnage.
Thibault sonne à l’interphone, Charles nous
dit qu’il descend. Il arrive avec son assistante Zelda. On fume une cigarette avant de
remonter. On prend un café, et Zelda propose: On
a qu’à lui mettre le latex ici!
Le latex, j’avais déjà vu, mais jamais
travaillé. On lui fait des stigmates sur le corps, puis on se dirige vers le studio oghmiône pour maquiller le latex séché. Charles me lance: Attends
je vais te montrer par où entrer. En effet, les bandes de tissu pour la
mise en scène cachent entièrement la pièce. Epaisses et noires, elles
recouvrent le piedestal, et montent jusqu’au plafond. En faisant le tour, j’ai la même
sensation que lorsque je faisais des galas de danse et qu’il fallait passer
derrière la scène pour en rejoindre l’autre coté. Je découvre la pièce et l’équipement:
un énorme projecteur, un plus petit, une lampe de bureau pointée vers un réflecteur… Toute astuce est visiblement bonne pour parvenir au parfait éclairage.
Les rôles sont vite fixés. Charles est le
master; Thibault, le modèle. Quant à Zelda et moi, nous serons les petites
mains. On remet les tissus en place, on maquille Thibault, on s’occupe de l’éclairage.
Zelda nous prend en photo pendant les préparations.
Les essais de lumière et de mise en scène sont
un moment particulier. On écoute Charles, accroupi, qui nous parle avec un œil
dans l’appareil posé sur le trépied. Moins de lumière s’il vous plait… Descends Zelda, son visage est trop éclairé… Ah pas mal, mais recule Thibault… Il lui tape sur la main pour la lui détendre. Interdiction de tendre le bras: c’est
pas baroque, t’es malade! Ça me fait rire.
Charles finit de préparer Thibault dans la
salle de bain, puis ils reviennent et le shooting commence. Grand silence,
Zelda lutte pour maintenir le réflecteur dans la bonne position, un peu comme
Thibault finalement, qui doit garder la pose, inspiration bloquée, et faire attention
à ses mains. Il est beau. Je suis à la gauche de Charles, immobile; on n’entend
que les clics. Parfois un ordre de Charles pour la lumière. Ok on va
faire une importation.
Fin de la première session. On charge les
photos sur l’ordinateur. C’est un peu long mais on discute. La concentration
extrême qui régnait pendant le shooting est déjà loin. Les photos apparaissent,
je vois celles des préparatifs et me dis que je suis très blanche et très moche.
Thibault est magnifique. Les photos sont toutes différentes, Charles a tenté
des choses, et il y a beaucoup de photos (prises en peu de temps finalement),
il y a du choix. Je me dis qu’il réussit à faire des clichés très forts alors
que l’on est au milieu d’un bordel de bouquins, où sont encore accrochés des restes du tournage de Lord Arthur Savile's Crime, et qu’on
travaille avec des lampes de bureau. Des plis sur les tissus font rebondir la
lumière, ça ne plait pas à Charles. On s’y remet.
Cette fois je suis chargée de tirer le tissu
et suis collée au mur pour ne pas être dans le cadre. Quand la deuxième session
commence, je suis au meilleur poste d’observation: Zelda, à genoux en
face de moi, fixe Thibault, concentrée pour viser le bon endroit avec son rayon
de lumière. Charles à ma droite, regarde le modèle à travers l’appareil. Je
suis assise par terre et m’aperçois qu’on est tous au niveau du sol,
silencieux, et que c’est quand même une scène étrange. A ma gauche, Thibault
est sur le lit, et je pense être la seule de l’assistance à m’attarder sur son
visage. Il fait ça plutôt facilement, ça me séduit…
Il faut dire qu'il a l'habitude. Il était dans Les Anges distraits, et Charles l'a pas mal photographié pour d'autres de ses projets.
Je suis impressionnée par leur
professionnalisme. Je ressens presque le dédoublement de leurs personnalités.
Ils sont potes, je le sais bien, une seconde avant le premier clic et une
seconde après le dernier, on rigole comme d’habitude. Entre les deux, la hiérarchie
de nos rôles est pleinement respectée par tous. Naturellement.
Je me sens ignorante, mais à l’aise: l’ambiance est cool, Charles n’est pas contre nos avis, et nous nous soumettons
à ses ordres alors que ce n’est franchement pas notre genre à Zelda, ni à
moi.
Fin de la deuxième session. Les photos sont
vraiment belles. Thibault: C’est quoi à gauche sur celle-là? Charles: C’est Mélo. Thibault me regarde, sourit et
m’embrasse. Le résultat convient à Charles, on est bon.
Zelda décide alors que l’on va s’amuser un
peu. Elle nous fait prendre des poses effrayantes ou saugrenues, je m’essaye à
la main baroque sous les instructions précises de Charles... Drôle, quoiqu’un peu gênant.
L’œil de l’appareil me met assez mal à l’aise. Pourtant certaines photos s’avèrent
intéressantes! Comme quoi…
Belle expérience. J’espère avoir été utile à
Charles, et suis quelque part assez fière. Je me sens impliquée dans ce projet
(trop sensible…). Déjà hâte de voir le résultat.
Mélodie Dahi.