La première projection du Bàb, ou bout-à-bout, d'un film — c'est-à-dire, un premier assemblage brut de l'ensemble des séquences montées, avant les retouches, effets, étalonnage —, c'est un peu comme le premier filage d'un spectacle: c'est une grande source d'angoisses, de craintes, de doutes.
Jusque là, tout n'a été vu que par petites portions, nous a satisfait par petites portions — mais c'est le moment de vérité, celui où l'on découvre si l'ensemble tient la route ou non, si le rythme général est bon, ou si, évidemment, il faut tout refaire.
Et nous — Quentin et moi — avons beau être arrivés détendus ce matin, dans la salle Symphonie 1 de Centreville Télévisions, avons beau avoir tranquillement monté le prologue du film, avons beau avoir nonchalamment mis des transitions temporaires entre les scènes, au moment fatidique, celui que nous avions pourtant prévu depuis deux semaines déjà, de lancer le film dans son intégralité, hé bien — je n'en menais pas large, traînassais en rangeant quelques papiers, proposai une dernière cigarette, prenais mon temps pour m'installer sur mon fauteuil, le retardant autant que je pouvais, presque tremblant, tous les doutes naturels sur le film, amoncelés et remisés dans un coin discret depuis le lancement du projet, refaisant brutalement surface, et ma confiance s'ébranlait d'un coup, comme la vaillante Metropolis noyée sous les flots.
Et si l'on ne comprenait rien à l'histoire? Si les séquences, filmées dans le désordre, contrairement à celles des Anges distraits, ne collaient pas entre elles, si elles étaient trop différentes l'une de l'autre? Si le film ne s'approchait en rien des vrais films muets que j'idolâtre et regarde sans faiblir depuis un an et demi pour comprendre comment ils sont faits? Si enfin le film n'avait aucun intérêt, ne provoquait aucune réaction, était un échec complet?
Mais on ne peut plus reculer, Quentin me pousse à lancer la play-list que j'avais préparée pour la projection (en attendant la vraie musique du film), allant de J.-B. Lully aux Pink Floyd, en passant naturellement par Bach, les Velvet, Richard Strauss — sans oublier Mahler présent sans doute à 85% dans la chose —, et la machine s'ébranle.
Enfin, en l'occurence Big Ben, qui ouvre le film.
40 minutes passent, dans le plus grand silence. (disons plutôt sans que Quentin ni moi n'ouvrions la bouche).
Passent vite.
Et à mesurent qu'elles filent, les doutes tombent, un à un.
Tout fonctionne. La chose roule.
Tout est fluide, s'enchaîne, s'imbrique. Je respire presque.
Cigarette, échange de nos impressions.
Nous sommes contents. Nous avons, semble-t-il, bien travaillé.
Et nous n'avons qu'à rentrer en Sympho, reprendre ce que nous dictent nos trois pages de notes, et rempiler pour un deuxième Bàb!
Charles.