la Compagnie

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Friday, November 4, 2016

The Elizabethan people's voice.

Une relâche exceptionnelle de son très-beau spectacle L'Innomé, donné tous les mercredis en même temps que notre Elizabeth R. au Théo Théâtre, a permis à Lennie Coindeaux d'assister à une représentation qu'il nous évoque.


Il m'a fallu un temps, somme toute très court, le temps d'une lumière plus scintillante, pour complètement rentrer dedans. En toute honnêteté, j'étais absolument ignorant de l'Histoire d'Angleterre et donc de cette reine. Il m'était difficile de situer historiquement les faits, les noms. Mais ce n'était pas un frein.
J'ai surtout compris cette femme, cette reine, ce coeur. Il y a eu des moments très forts qui m'ont vraiment marqués, comme lorsqu'elle dit Je sais que je n'ai le corps que d'une chétive et faible femme, mais j'ai le coeur et l'estomac d'un roi .
Tout ce passage quand Christine Narovitch (Elizabeth) parle à sa cour est sublime. Avec une force, une puissance. Et alors ce que j'adore c'est lorsqu'on voit les instants où le masque tombe, et l'on aperçoit chez elle une mimique, un rictus, un sourire, un roulement d'yeux... toujours fulgurants.
Mais c'était là: je l'ai vu, je l'ai saisi dans son instant de fragilité, de femme et non plus de reine. Christine m'a vraiment impressionné, tant elle se transforme sur scene. Cette robe bien sûr, cette coiffe, cette façon de se tenir, lui confèrent une force, un ancrage dans la terre, tel un chêne indéracinable. Le coeur d'un roi....
Indéniablement les bougies apportent ce qu'aucune lumière artificielle de projecteur ne pourrait apporter. Ne serait-ce que l'odeur quand on entre dans la salle: cette odeur nous prend avec elle, nous invite à nous asseoir et à voyager. 
Toi aussi Charles, tu es toujours très surprenant.
Toi aussi tu mutes... au sens littéral du mot, je te vois complètement changer, autrement, prendre une autre dimension. C'est drôle, il y a dans ton regard un mystère, une passion ardente, accompagnée d'une naïveté, d'une pureté qui surgit parfois au milieu de ce feu, qui pourrait être une obsession...
Et cet instrument arrive... et là j'ai voyagé dans bien des pays, je me suis retrouvé en Espagne, au Proche-Orient. La musique voyage elle aussi, elle se charge de ses rencontres ethniques.
Il est évident que j'ai encore plein de choses à dire, mais la parole reste vivante, plutôt que les touches d'une tablette. Place donc à la Parole.
Lennie Coindeaux.

Tuesday, October 18, 2016

Le Président nous révèle ce qui est caché.

La saison 2015–2016 qui s’est achevée au mois de juillet par l’Oghmac, notre fête du théâtre baroque en Périgord noir, a été la saison du rire et plus particulièrement celle de la satire: du monde de la justice avec Racine, des amours interdites et tragiques avec Scarron…

Comment présenter, alors, la saison 2016–2017? Le calendrier politique voudrait en faire une saison plus sérieuse. Nous en tiendrons compte. Dans les sujets traités, uniquement. Parce que, cette saison encore, la Compagnie Oghma entend bien essayer de vous faire rire, de vous divertir et, surtout, de vous faire voyager.

Pour cela, nous répartirons nos activités entre la Dordogne-Périgord, où la Compagnie est implantée, le Théo Théâtre à Paris, avec lequel nous collaborons depuis maintenant quatre ans et dont nous apprécions la programmation éclectique et exigeante et bien sûr, nos tournées à travers la France diffusant nos spectacles.

Tout d’abord, la Reine Vierge reviendra.

Elizabeth R., spectacle plébiscité et déjà prolongé, autour de cette figure légendaire d’une Angleterre rayonnante ouvrira notre saison. Nous espérons que vous serez heureux de découvrir (ou plutôt de redécouvrir) le courage politique et le charisme émanant des discours d'un chef d’Etat hors du commun devant ses troupes ou ses ministres, la pureté et la spiritualité habitant les prières du Gouverneur Suprême de l’Eglise d’Angleterre, ainsi que la richesse et la poësie de la correspondance amoureuse de la Reine Vierge, après la mort de laquelle s’éteignit la lignée des Tudors. Pour notre plus grand plaisir, Christine Narovitch incarnera ainsi à nouveau, avec justesse et élégance, cette reine mythifiée, tous les mercredis d'octobre à décembre.

La politique sera également, plus incidemment, au cœur de notre grande production de la saison: après s’être attaquée par deux fois à Racine, la Compagnie monte Amphitryon, de Molière. La création de ce qui constituera notre première pièce de cet auteur (il était temps!) se fera en Périgord, à Montignac-Lascaux, le 11 février 2017, avant une programmation à Paris à partir du 24 février.

Si le propos de ce mythe apparaît des plus légers, la dimension politique qui l’habite donne à sa réécriture une dimension férocement subversive et impertinente. Dieux joueurs, mortels ridiculisés et épouses abusées? Peut-être, mais aussi puissants arrogants, peuple violenté, femmes méprisées. L’ambivalence dont cette œuvre est animée, en plus de laisser Jupiter d’accomplir, métamorphosé, tous ses forfaits, pourrait bien également avoir permis à cette comédie d’éviter la censure qui avait déjà frappé Tartuffe trois ans auparavant. Une ambivalence toute baroque, pour une pièce d’une puissante modernité.  

Cette création sera l’occasion de faire croiser à nouveau sur scène plusieurs des comédiens déjà applaudis dans nos précédentes productions: Manuel Weber, Ulysse Robin et Romaric Olarte. Mais elle nous permettra en outre de vous présenter les visages de ceux qui les rejoindront: Pauline Briand, Valentin Besson et Joseph de Bony.

Avec cette comédie, Charles, Magister artium noster, vous proposera également une nouvelle vision du baroque. Loin de l’univers provincial des Plaideurs, vous serez invités à un divertissement de cour, présentant le faste et l’éclat du Versailles du Roi Soleil, dont la toute-puissance est si malignement égratignée par Molière.

Une création vive et colorée, pleine de broderies, soieries et dorures, qui constituera le cœur de notre programme.

Enfin, la saison se poursuivra à partir du 31 mai 2017 avec un spectacle autour des Fables de La Fontaine, présenté par Elsa Dupuy et Charles Di Meglio. Ce spectacle, créé à l’Oghmac 2016, permettra de découvrir une autre facette du baroque, à la scénographie d’une sobriété surprenante mais aussi tout en mouvements et en audaces (pensez-vous: un comédien, horresco referens, serait apparu de profil sur scène pendant le festival).

Une occasion, avant tout, de donner vie aux vers de La Fontaine, à ses apologues facétieux, pour certains méconnus et dont la sagesse résonne toujours avec la même intemporalité.

Et puis, naturellement, après quelques tournées, de nos Plaideurs et Fables, la Compagnie rentrera en Périgord pour la troisième édition de l’Oghmac, du 24 au 31 juillet 2017. Au programme cette année: la figure féminine au XVIIe siècle. Pour cela, nous vous préparons un menu de choix, avec des artistes invités, des créations et d’autres surprises qui vous seront dévoilées le moment venu.

L’intimité d’une souveraine d’exception, la richesse et la vitalité d’un mythe millénaire, l’intelligence de fables parfois méconnues…

Et si ce que la Compagnie Oghma se proposait de faire cette saison, c’était justement de révéler ce qui est caché?

Alexandre Comolet
président de la Compagnie Oghma

Wednesday, June 15, 2016

Partir.


Dans ce qui m'a donné envie de faire du théâtre, il y a en belle place le film magique d'Ariane Mnouchkine, Molière (1978).

J'avais 8 ans la toute première fois que je l'ai vu, je vivais en Extrême-Orient et mon expérience du théâtre se résumait aux spectacles de marionnettes traditionnelles dans la rue qui déjà me fascinaient, sans pourtant comprendre ce qu'elles disaient, ni même savoir ce dont il s'agissait précisément.
Au bout des deux premières heures du film et malgré l'heure tardive, j'insiste tant que mes parents consentent à lancer la deuxième époque.

A la fin des quatre heures, c'était décidé et je m'exclamai: je ferai du théâtre plus tard!

Trois moments m'avaient surtout marqué, frappé, donné envie.



Tout d'abord lorsqu'après le Carnaval sanglant, au milieu de masques brisés, certains fronts encore tachés de carmin, tous rendus calmes et sereins, le théâtre apaisant les douleurs, Molière, happé, hypnotisé, découvre la tragédie, et Madeleine Béjart qui déclame, sur une petite scène, éclairée à la bougie, une larme peinte sur son visage fardé. Les vers sont lents, chantants, étirés. Je n'avais jamais rien vu de plus beau et longtemps ensuite je m'amusais à parler de la même manière. Je croyais que ce n'était que comme ça qu'on faisait du théâtre — dix ans avant de rencontrer le théâtre baroque.

Deux autres séquences m'avaient autant saisi: à la fin de la première partie, l'Illustre Théâtre rejoint enfin la troupe de Dufrêne, qui joue au milieu de nulle part, en rase campagne, devant quelques locaux enjoués. Le vent se lève, les tréteaux s'envolent avec les comédiens qui tentent de jouer encore. Les tréteaux deviennent quasi-vivants et les rideaux sont autant d'ailes qui les portent tandis que les comédiens de Molière courent derrière, riants. Il n'y a pas de danger: puisqu'il y a du théâtre!



Et enfin, c'est le départ de la troupe, leurs trajets en France. Un départ heureux, plein d'espoirs partagés, de vent dans les cheveux, de pluies et de carrioles embourbées aussi, de joies, dans une énergie commune nourrie de la force que donne le théâtre.

Un petit paquet d'années plus tard, la même émotion m'étreint. Quand je revois le film, bien sûr, mais surtout quand, à son tour, notre Compagnie s'élance et part sur les routes, loin de nos bases.

Si la carriole n'est plus tirée maintenant par des chevaux, je nous reconnais pourtant quand nous nous retrouvons tous au lever du soleil pour charger le camion de tout ce qui fait le spectacle que nous emportons, nous envolant vers d'autres provinces, des publics inconnus, parfois — sinon souvent et en tous cas toujours délibérément — pour des endroits sans théâtre, pour qu'il y ait lieu. Et après plusieurs heures de route, épuisés, nous découvrons, bienheureux ce qui sera notre scène et notre énergie revient: parfois des tréteaux, ou un vrai théâtre, parfois une cour de château qui devient décor. A l'aventure en somme, car rien n'est jamais sûr.

Parfois encore, nous nous embourbons, nous avons froid l'hiver dans des lieux antiques plein d'humidité et où la chaleur ne peut pas rester. Parfois nos hôtes nous reçoivent aussi bien que le Prince de Conti devenu dévot. Mais nous sommes toujours unis et l'émotion m'étreint toujours quand je vois la ferveur que nous avons tous, toujours, car c'est toujours aussi souriants et pleins d'espoir que nous partageons ces moments, parce que nous sommes ensembles et avec nos spectateurs — car c'est ça le théâtre, et le théâtre vivant!


C'est d'ailleurs un peu pour ça que la Compagnie est établie en Dordogne-Périgord et de là que vient l'idée de l'Oghmac, notre festival qui va bientôt voir sa deuxième édition: faire du théâtre là où il n'a d'habitude pas lieu, pour les populations locales, un théâtre populaire qui va à la rencontre des gens, pour leur proposer, l'espace d'une heure ou deux, de quoi s'échapper, de quoi rêver, sous les étoiles, à la lueur des bougies. Raconter une histoire, partager la force de la langue, la beauté d'un texte.

Charles.

Monday, September 28, 2015

Le Président vous parle de notre dixième saison en rigolant.

Le rire a plutôt réussi à la Compagnie durant la saison dernière, les reprises de nos programmes pendant tout l'été à de divers festivals ainsi que l'enthousiasme qui a accueilli notre création Léandre & Héro, en témoignent. 
Bis repetita placet, faisons rire à nouveau le public de la Compagnie! Il faut dire que pour notre part, ça ne nous a pas déplu ce burlesque irrésistible du grand Scarron. 
Surtout, la Compagnie s'est agrandie et ils nous fallait une production digne des talents qui nous ont rejoint! Votre serviteur a tout naturellement songé à Molière… Notre Directeur Artistique a opté pour un autre auteur, au moins aussi éminent et nous vous avons concocté un programme digne de ce nom pour la saison qui commence.


Cette fois-ci, ce sera le traditionnel concert de l'Ebo, l'ensemble musical de la Compagnie Oghma, qui ouvrira la saison, avec Un Portrait de l'Amour, les 12 et 13 novembre dans le superbe temple du Pentemont, rue de Grenelle. Julie Petit, qui a rejoint l'Ebo en 2014, a élaboré avec la Compagnie un programme autour de pièces de François Couperin et de textes de Molière — tout vient à point à qui sait attendre… — porté par un ensemble considérablement diversifié pour un tableau galant et coloré.
Cette saison, c'est également une année phare dans l'histoire de la Compagnie, puisque ce sera notre dixième saison de programmation continue. Alors puisqu'il est de tradition chez nous de ne jamais laisser passer une occasion de s'adonner à quelque célébration, Charles a décidé de faire revivre quelques grands succès des saisons passées.
Nous donnerons ainsi à nouveau Léandre et Héro et The Most Excellent Inventions of Captaine Tobias Hume, respectivement en mai au Théâtre du Gouvernail et en juin au Temple du Pentemont, dont nous faisons notre place forte pour notre programmation musicale de cette saison. 
Mais il est temps enfin de vous présenter notre grande création de l'année à venir… Les multiples photos et newsletters avaient pu vous mettre la puce à l'oreille, de même que la campagne Ulule au cours de laquelle vous nous avez accordé massivement votre confiance et votre soutien: nous montons cette année Les Plaideurs, l'unique comédie de Jean Racine, satire féroce et - hélas - loin d'être datée, de la justice, des professions judiciaires et des justiciables procéduriers. Le voilà donc, ce rire! Et c'est avec un grand enthousiasme que nous nous sommes (depuis quelques mois déjà) lancés dans ce projet. Aussi, pour nous assurer que vous ne manquerez pas cet évènement, la pièce sera diffusée, après une création en notre fief périgourdin, pendant trois mois du 19 février au 30 avril 2016 au Théo Théâtre. 
C'est avec cette pièce que nous pouvons accueillir cette année trois nouveaux comédiens qui débutent une collaboration que nous espérons fructueuse avec la Compagnie Oghma et pour certains d'entre eux leur formation baroque auprès de Charles. 
Vous y retrouverez naturellement Charles Di Meglio que nous ne vous présentons plus, qui met une nouvelle fois en scène et sera l'auteur des costumes comme pour Léandre & Héro, Christine Narovitch, grâce à qui vous avez pu découvrir les saisons passées l'existence édifiante de la Reine vierge avec Elizabeth et qui renoue avec la tradition racinienne de la Compagnie après avoir été notre Phèdre en 2008, ainsi qu'Elsa Dupuy et Ulysse Robin qui ont fait leur entrée dans la Compagnie avec Léandre & Héro.
Nous rejoignent ainsi Romaric Olarte et Mikaël Mittelstadt, qui poursuivent leur formation au théâtre baroque au sein de la compagnie et Manuel Weber, déjà rompu à ses codes et à ses exigences et dont le nom et le visage ne seront pas inconnus aux plus baroqueux d'entre vous.
Ces projets réjouissants et ces nouvelles enthousiasmantes ne seraient rien sans la perspective de pouvoir les partager avec vous, que nous avons la joie de voir chaque année plus nombreux. Cette saison, en effet, c'est un peu plus la votre que les années précédentes, puisque c'est grâce à votre participation à notre campagne Ulule que ce projet des Plaideurs peut ainsi prendre forme. Souhaitons qu'elle le soit jusqu'au bout, grâce à votre soutien qui nous porte tant, à votre enthousiasme et aux encouragements dont vous nous témoignez jour après jour et saison après saison. A très bientôt donc, pour une saison nouvelle que nous vous souhaitons pleine d'audace, de qualité et baroque
Alexandre Comolet, Président de la Compagnie Oghma.

Sunday, May 31, 2015

Du trait à la couleur.

Tout costume commence par un trait. D'abord un trait de crayon sur le papier, pour le dessiner, le façonner une première fois en donnant l'allure générale au personnage. Un trait en noir et blanc, suivi par d'autres, croisés par d'autres encore, détaillant les matières, les plis, le tombé de chacun des éléments, encadrant le dessin final de consignes et de points importants. Des lignes, comme lorsqu'un peintre prévoit son tableau, dispose ses personnages dans l'espace, leurs regards, la lumière.
La saison prochaine, notre dixième, nous montons un projet un peu fou: Les Plaideurs de Jean Racine, sa seule comédie. Devant l'ampleur du décor et le nombre des costumes à réaliser pour cette nouvelle production, nous avons lancé une campagne Ulule pour les financer. Et l'élan qui a été témoigné à cette campagne est jusqu'à présent exceptionnel et impressionnant. Quelques uns de nos soutiens ayant choisi de nous aider en nous envoyant un chèque (car, oui, vous pouvez également nous envoyer vos contributions par chèque à l'ordre de la Compagnie Oghma si vous préférez et elle sera portée à la cagnotte! — écrivez-nous pour que nous vous transmettrons notre adresse postale), nous avons d'ores et déjà pu investir dans une partie des tissus des costumes et j'ai ainsi pu me lancer dans la confection de l'un d'entre eux: le pourpoint de soie céladon que portera Léandre,(oui: nouvelle pièce, nouvelle production, mais encore un Léandre, dont Elsa sera encore amoureuse — cette répétition m'amuse beaucoup!).



Mais revenons à nos traits. Car d'autres suivent les premiers au crayon: sur du tissu cette fois-ci, tandis que l'on reste dans une anticipation des matières, des couleurs: on trace à la craie les lignes de coupe, les coutures sur la toile à patron. Avant de l'assembler dans ce qui sera en quelque sorte le brouillon du costume. A ce stade, le rendu final ne se reflette que dans mon imagination, et il sefaut  projeter dans les couleurs et les matières pour avoir une idée de ce à quoi ressemblera la chose finie.

Essayages, retouches. A nouveau des lignes: celles du corps de l'acteur auxquelles j'ai tâché d'adapter mon patron, celles du tissu qui, si besoin est avec quelques épingles, épousent celles de l'acteur.
Puis on découd, on trace d'autres traits. C'est prêt: c'est cette fois-ci dans le tissu définitif. Tissu définitif choisi avec soin, parfois après plusieurs heures passées à chercher la bonne couleur dans la bonne matière (les couleurs baroques n'étant plus tant celles qui sont à la mode, il m'aura par exemple fallu près de trois heures pour trouver la couleur parfaite de la doublure plus claire du pourpoint)
Et là le miracle commence à opérer, le costume semble prendre une nouvelle vie: celle qu'on lui a toujours imaginée, celle qu'on a rêvée. D'un monde en noir et blanc, un peu raide, on plonge dans la chatoyance baroque. C'est un peu comme si, après l'avoir toujours vue dans une copie en noir et blanc, on redécouvrait la grande scène du bal colorée du Fantôme de l'Opéra de Rupert Julian avec Lon Chaney: la magie nous happe et l'on n'a plus la même chose devant les yeux. On passe des lignes brutes et un peu raides gravées dans le bois à l'ukiyo-e finie, les couches de couleurs ayant peu à peu imprimé le papier de riz. Un monde de couleurs, de reflets, de matières, que l'on n'imaginait déjà presque plus: on est passé du trait à la couleur.


Si ce ne sont encore que des épingles qui tiennent assemblées manches et basque sur notre mannequin Ferdinand, déjà je découvre, les yeux pétillants d'étoiles émerveillées, le spectacle prendre un peu vie et nous voilà repartis en voyage vers le dix-septième siècle!
Si nous sommes suffisamment proches de l'objectif de notre campagne pour nous lancer dans de telles expéditions, nous n'y sommes pas encore et ainsi, pour multiplier ces yeux enthousiasmés et emportés par nos costumes (sans oublier notre décor), continuez à nous soutenir (par chèque aussi donc, si vous le souhaitez): chaque euro compte, nous importe et nous fait chaud au cœur. N'oublions pas que nous ne pourrons bénéficier de votre soutien hors-normes que si la somme finale (ou plus) est récoltée. N'hésitez donc plus: le soutien qui nous a été montré jusqu'ici est formidable, tout comme nous espérons que le seront nos costumes et décor
Parlez-en aussi avec force autour de vous, Facebook, Twitter et alli sont aussi d'excellents relais: plus l'aide qui nous est apportée sera grande, plus les constellations d'émerveillement se répandront, d'abord dans nos studios, mais surtout à partir de février lorsque nous aurons la joie de vous présenter le spectacle!
Charles.

Wednesday, February 11, 2015

De Leander vox populi.


Léandre et Héro, ode burlesque de Paul Scarron, se joue depuis mardi au théâtre de l'Ile Saint-Louis, 39, quai d'Anjou à Paris. Un premier spectateur enchanté nous évoque la représentation qu'il en vue.


Un spectacle beau, agréable et simple. Une charmante histoire jouée et racontée devant les spectateurs dans l'intimité d'une petite salle à la seule lumière des bougies.
La déclamation baroque nous amène dans un style de jeu très particulier avec son propre mode de Parole et sa propre façon de bouger. Inhabituel, un peu déroutant aux premiers instants pour qui ne connait pas, mais certainement pas désagréable car les deux comédiens et la comédienne tirent entièrement parti de ce que permet cette déclamation en terme de gestes et de manières d'adresser une parole (des manières qui, souvent, ne pourraient exister dans une diction et une gestuelle contemporaine). 

On nous conte une histoire, celle des amours de Léandre et Héro: un narrateur nous la donne en mots et gestes, et dans le même temps et le même espace, les deux amants la vivent. La cohabitation du narrateur et des personnages ne nous gêne pas le moins du monde, car tous se rejoignent dans un même but: nous raconter l'histoire, à nous, spectateurs. Et c'est ce qu'il y a de plus agréable dans ce spectacle, au travers du jeu baroque et dans cette toute petite salle: le spectateur n'est jamais ignoré. C'est à nous qu'on parle. Presque tout nous est adressé, si bien qu'on se sent perpétuellement invité à suivre ces deux amants dans leurs péripéties. Le jeu est ici au plus sincère, au plus proche du premier degré et toutes les émotions traversent les comédiens avec une ampleur haute et puissante qui fait se mouvoir leurs corps. Et ça nous atteint. Et ça nous touche. Car dans ce type de jeu si particulier, on reconnait bien, grandi par les gestes et la paroles, l'amour, la naïveté de la jeunesse, le chaud tempérament de l'adolescence, l'émerveillement des premiers ébats, tous interprétés avec brio par les deux protagonistes, Ulysse Robin et Elsa Dupuy. Le narrateur a certes une certaine distance avec l'histoire, mais il n'est pas neutre pour autant et a souvent son mot à dire sur ce qu'il pense de l'histoire en question, n'hésitant d'ailleurs pas à prendre à parti le spectateur.
En tant que spectateur, on a le désir de profiter au maximum de ce spectacle, parce qu'il nous fait du bien. En ce qui me concerne, j'en suis sorti avec l'envie de jeter des confettis.
J'encourage ceux qui n'ont pas encore vu ce spectacle à prendre un peu de temps sur leur soirée (moins d'une heure, ce qui soit dit en passant est assez rafraichissant par rapport aux temps de spectacle habituels) pour marcher, voguer ou nager jusqu'à l'Ile Saint-Louis et partager l'aventure de Léandre et Héro.

Romaric Olarte

Thursday, December 11, 2014

Ebène, palissandre et marqueterie Boulle.


Lorsque l'on œuvre dans le théâtre baroque, il est bien naturel qu'une bonne partie de notre temps soit occupé par la recherche. La recherche aux sources, des codes scéniques de l'époque, de la façon de concevoir le monde pour mieux le percevoir, des textes et partitions, pour les établir de la façon la plus précise et les restituer avec la plus grande honnêteté possible, à partir de matériel de première main et non frelaté par les siècles qui nous en séparent, pour retrouver aussi le sens et la valeur que l'on donnait alors aux mots.
Mais aussi de recherche, qu'on pourrait considérer plus triviale mais qui est néanmoins aussi essentielle, autour de ce qui sera vu à proprement parler sur scène: sur les costumes (que portait-on dans la vie, sur scène, quels étaient les codes tant des costumes que des habits de ville, quels matériaux utiliser, comment pendouille une aiguillette retenant une cape en 1620 ou de combien dépasse un ruban enroulé à l'épaule en 1650?), des perruques et autres poils (qui se coiffait comment, est-ce que l'on donne à untel une moustache à la française des années 1630 ou à la flamande des années 50?), et enfin, comment habillait-on la scène, ou son intérieur?
Car évidemment, le mobilier a son importance aussi et sera signifiant, de même que dans n'importe quelle scénographie. Evidemment, à l'époque, la question se posait moins, et si une comédie nécessitait un coffre pour des jeux de scène, on prenait le coffre que l'on avait sous la main. Quatre cent trente ans plus tard, la question est forcément plus cruciale: j'aurais peine à voir l'équivalent, mettons une boîte Muji, tout aussi élégante qu'elle soit, au milieu de nos bougies!
Lorsqu'avec Timothée, notre ébéniste (qui fut avant tout notre Ange distrait principal en 2008), je travaillais au trône d'Elizabeth première, une conversation a tourné autour de la marqueterie Boulle, de combien c'était une technique remarquable, difficile, mais surtout sublime. Evidemment, la conversation est restée imprégnée dans mon esprit, plein des images ébaudissantes de certains meubles exemplaires.
Ainsi, peu de temps après l'achèvement de ce noble meuble, en mai, j'évoquais avec Timothée la création prochaine de Léandre et Héro de Paul Scarron (en février au Théâtre de l'Ile Saint-Louis), et la nécessité de construire un coffre qui sera essentiel à la mise en scène. Ni une ni deux, nous tombâmes d'accord de ne pas faire qu'un simple meuble de beau bois sculpté, trop fin seizième et austère pour l'allure générale du spectacle, mais soyons fous (et nous le fûmes): explorons ensemble les possibles de la marqueterie Boulle, et créons ensemble quelque chose d'encore plus sublime que ce trône qui ravit tous les mercredis soirs nos spectateurs élisabéthains!
Petit à petit, recherche par recherche, affinage par affinage, la chose se précisait, ses dimensions, bien entendu, dictées par l'élégance de ses lignes en devenir mais aussi par les contraintes techniques, son thème (il doit évoquer à la fois Vénus et la mer — quels étaient leurs symboles respectifs, comment les rendre cohérents?), ses couleurs.
La marqueterie Boulle telle qu'on la connaît, avec ses laitons et écailles, n'apparaît qu'à la fin du siècle. Or nous nous intéressions à sa première moitié. Et puis ce n'était pas très écologique de faire tuer soixante tortues pour avoir de quoi faire un meuble, cela va sans dire. 
Alors nous eûmes l'idée de nous inspirer des meubles 1600, avec leur ébène et leur nacre, leurs contrastes forts et spectaculaires, tout en utilisant la technique Boulle des parties et contre-parties, pour créer un meuble tout en oxymore baroque.


Bref, passons les détails, nos atermoiements, nos heures passées entre les grotesques de Jean Berain pour y trouver les motifs de volutes, les fontaines de Versailles et de Rome et leurs Tritons, les gravures zoologiques issus de cabinets de curiosités, etc. pour arriver à trois jours enfin passés tous les deux, dans la retraite angevine de Timothée (un château seizième, dans lequel Charles IX a fait un petit tour un jour, cela va sans dire), dessinant, nous reprenant, gommant, travaillant ensemble, à quatre mains (tandis que le chien Palissandre, baptisé en hommage au placage dudit bois sur notre trône sautillait autour de nous), pour créer le modèle qui serait ensuite découpé dans nos feuilles de bois précieux.
Car ce travail à deux nous permettait de nous compléter harmonieusement: Timothée apportait à mes idées baroques sa connaissance du bois et de la technique, et vice-versa, Si je savais où trouver un modèle d'acanthe, je ne savais pas forcément le reproduire, ni ce qui était faisable, et Timothée intervenait, proposait, nous nous reprenions et ainsi de suite, chacun inspectant les dessins de l'autre pour les reprendre avec gentillesse ou les louer avec ferveur.
Trois jours aussi où j'ai eu l'impression d'être projeté à cette époque dans laquelle je passe pourtant déjà le plus clair de mon temps, nous chauffant à la cheminée, le souffle glacé par l'hiver installé, les yeux plissés après de longues heures d'assemblage des bois, de découpes, au milieu de ces bois magnifiques, et de ces motifs qui nous surprennent nous-mêmes encore, tant nous trouvons notre pastiche remarquable! Certes, trois jours c'est trop court pour finir un meuble aussi complexe que celui-ci, je laissais donc Tim dans son château pour rentrer à mes répétitions parisiennes, et j'ai grande hâte tant de voir la chose terminée, que de la faire découvrir sur notre scène éclairée à la bougie!
Charles.